Quatrième fruit de la collaboration lyrique entre Richard Strauss et Hugo von Hofmannsthal, Die Frau ohne Schatten a créé l’événement, dès sa création, à Vienne, en 1919, tant par l’originalité de son sujet – un conte symboliste initiatique sur la fertilité et la solidité du couple – que par les moyens musicaux colossaux mis en œuvre. À commencer par le plus gigantesque orchestre lyrique conçu par le compositeur, qui exige également raffinement chambriste et art de la cantilène, notamment à la fin de l’acte I – qui tirait des larmes au très sévère Karl Böhm.
Opéra de chef, donc, auquel il faut aussi, selon le fameux mot d’Arturo Toscanini à propos d’Il trovatore, les « quatre meilleurs chanteurs du monde ». Et même les cinq, tant les imprécations de la Nourrice dressent un pont entre deux univers : celui d’en haut, de l’Empereur, ténor héroïque dont on attend aussi de la douceur, et de l’Impératrice, soprano blond, à l’aigu conquérant, jusqu’au contre-ré, et au médium assez corsé ; et celui d’en bas, de la Teinturière, sorte de Turandot germanique, et du baryton-basse, tout en humanité, de son époux, Barak.
Rares sont les maisons d’opéra françaises à oser programmer l’ouvrage. À Toulouse, en 2006 (voir O. M. n° 13 p. 60 de décembre), le regretté Nicolas Joel réussissait à monter, dans les décors évocateurs d’Ezio Frigerio, une production d’un niveau qu’on attend généralement du Festival de Salzbourg, avec une distribution cinq étoiles.
Dix-huit ans après sa création, ce spectacle retrouvera l’Opéra National du Capitole, du 25 janvier au 4 février 2024, avec, toujours, Ricarda Merbeth. À ceci près que la soprano allemande troquera les voiles de l’Impératrice contre les loques de la Teinturière, cédant la « femme sans ombre » à la prise de rôle très attendue d’Elisabeth Teige, nouvelle coqueluche, entre autres, du Festival de Bayreuth.
Face à elles, la première Nourrice de Sophie Koch, l’Empereur d’Issachah Savage, qui fut Bacchus (Ariadne auf Naxos) in loco, en 2019, et le Barak de Brian Mulligan.
Alors que l’Opéra de Lyon optait, en ouverture de sa saison (voir nos pages « Comptes rendus » dans ce numéro), pour un effectif instrumental réduit de plus d’un tiers, l’Orchestre National Capitole Toulouse se déploiera, lui, au grand complet, sous la conduite de Frank Beermann, spécialiste du répertoire germanique, déjà au pupitre de Parsifal, Elektra et Tristan und Isolde, ces dernières saisons, dans la « Ville rose ».
YANNICK MILLON