Opéra, 2 novembre
La réussite absolue de cette version de concert d’Attila (Venise, 1846), donnée trois fois devant des salles enthousiastes, le confirme : il faut savoir construire une distribution verdienne.
Csilla Boross, qui débuta, voici vingt ans, dans les redoutables exigences de Konstanze (Die Entführung aus dem Serail), avant d’aborder Abigaille (Nabucco) et Lady Macbeth (Macbeth), impressionne dès son air d’entrée, au Prologue, où Odabella affirme la fierté des femmes italiennes devant l’envahisseur (« Santo di patria… Allor che i forti corrono ») : aigu intrépide, grave jamais obscurci, largeur du médium. Elle déploie la même vaillance dans les ensembles, tout en proposant un subtil belcantisme dans « Liberamente or piangi… Oh! nel fuggente nuvolo », au I.
Pour savoir chanter Verdi, il faut être passé par l’univers mozartien. Ildebrando D’Arcangelo le prouve, à son tour, en une ligne, un soutien, une coloration impeccables. Sa prestance rend pleinement justice à l’autorité d’Attila, mais aussi à sa vulnérabilité, dès qu’il subit l’ascendant d’Odabella. Sa grande scène du songe (« Uldino ! Uldin !… Mentre gonfiarsi l’anima »), la douloureuse stupeur de son interrogation ultime (« E tu pure, Odabella ? ») s’inscrivent dans la lignée des grandes incarnations de ce roi « barbare », qui n’a pas étouffé en lui l’humanité.
Si le rôle de Foresto n’offre guère d’intérêt dramatique, le beau chant et la bravoure d’Antonio Poli recueillent tous les suffrages dans ses airs (notamment « Infida !… Che non avrebbe il misero », au III), comme dans ses duos avec la vierge guerrière.
Juan Jesus Rodriguez appartient au petit nombre de barytons Verdi à l’aigu invincible, capables de legato jusque dans le slancio. La phrase tant attendue, « Avrai tu l’universo, resti l’Italia a me », au fa mémorable, sa méditation sur la décadence romaine (« Dagli immortali vertici »), sa résolution (« È gettata la mia sorte ») présentent un Ezio à l’humanité complexe.
Basse profonde sonore, Louis Morvan campe un Leone voisin du Commandeur (Don Giovanni), tandis que le ténor Arnaud Rostin-Magnin assume pleinement les initiatives d’Uldino.
Le Chœur de l’Opéra de Marseille, préparé par Florent Mayet, est un personnage multiple, constamment présent, qui dément le mot d’esprit de Rossini sur Verdi, « compositeur casqué ». On admire la délicatesse des voix de femmes, saluant le lever du jour sur Aquileia, autant que l’ardeur des guerriers dans leurs invocations à Wodan, ou les frémissements d’un grand banquet, qui laisse présager celui de Macbeth.
Paolo Arrivabeni insuffle un élan attentif à chaque inflexion des solistes, des choristes et de l’Orchestre de l’Opéra de Marseille, en ménageant les moments de poésie (le solo de violoncelle pendant l’air d’Odabella, au I), autant que les contrastes dramatiques des ensembles.
Formons un vœu : qu’une telle perfection se reproduise. Dans une mise en scène digne d’elle ?
PATRICE HENRIOT