Opéras Peter Grimes face à ses juges à Milan
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Peter Grimes face à ses juges à Milan

07/11/2023
Brandon Jovanovich (Peter Grimes). © Brescia e Amisano/Teatro alla Scala

Teatro alla Scala, 24 octobre

Onze ans après le beau spectacle de Richard Jones, avec Robin Ticciati dans la fosse (en DVD chez Opus Arte), Peter Grimes revient à la Scala, dans une nouvelle production de Robert Carsen. Le metteur en scène canadien, comme son confrère britannique, reste fidèle aux intentions de Britten, en illustrant le conflit entre un homme et la société qui l’entoure, nourri par une incompréhension et une hostilité mutuelles.

Le décor unique de Gideon Davey est une vaste pièce, aux murs couverts de bois, surplombée par une espèce de chemin de ronde, qui en fait tout le tour. Encore au-dessus, des parois de couleur claire servent à des projections en noir et blanc : des gros plans, légèrement flous, du visage de Peter Grimes, pour l’essentiel, mais aussi les images d’un océan sombre et agité, uniques références du spectacle  à l’élément marin.

La pièce elle-même, éclairée par des néons tombant de temps en temps des cintres, est meublée de bancs, d’un comptoir, de tables et de chaises, qu’une vingtaine de « servants » déplacent pendant les interludes. Grâce à leurs mouvements, chorégraphiés au millimètre près, la salle municipale se transforme en pub, en place de village, en cabane, jusqu’au tableau final, situé dans le même tribunal que le début de l’opéra, où un nouveau Peter Grimes est sur le point d’être jugé.  Ou comment mettre en exergue le caractère cyclique des vicissitudes de l’existence humaine…

La direction d’acteurs est exemplaire, pour les solistes mais, encore davantage, pour les chœurs de la Scala, dans une forme vocale sensationnelle, et d’un prodigieux engagement dramatique. Ce sont eux, sans contestation possible, les vrais protagonistes de la représentation.

En Peter Grimes, Brandon Jovanovich tente une synthèse des différentes manières d’aborder le personnage (Peter Pears, Jon Vickers, Philip Langridge, Anthony Rolfe Johnson…), en alternant irritabilité, excitation, frustration, lyrisme, pour mieux mettre en exergue sa dimension schizophrénique. Le portrait est globalement réussi, par-delà quelques fragilités vocales, que le ténor américain masque avec beaucoup d’intelligence, en les mettant au service de la variété du phrasé.

Nicole Car est une excellente Ellen Orford, toute d’ardeur et de passion dans sa volonté d’arracher Peter Grimes à son destin, au risque de l’échec. Olafur Sigurdarson campe un Balstrode indifférent et calculateur, Peter Rose, un Swallow ambigu, et Michael Colvin, un Bob Boles geignard. Leurs partenaires n’appellent aucun reproche, à commencer par Leigh Melrose, Ned Keene transformé en  trafiquant de drogue.

Au pupitre d’un orchestre lumineux, Simone Young offre une lecture énergique, contrastée, puissamment théâtrale de la partition, dont elle maîtrise la complexité rythmique et respecte l’infinie richesse des coloris instrumentaux. Grâce à elle, la mer, quasiment absente de la production, déferle dans nos oreilles : tantôt calme, tantôt hostile, toujours énigmatique.

Le public ne s’y trompe pas, réservant à la cheffe australienne, ainsi qu’aux chœurs, ses applaudissements les plus nourris.

PAOLO DI FELICE

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