Grand Théâtre, 27 octobre
Pour le Grand Théâtre de Genève, l’entrée au répertoire de Maria de Buenos Aires, « opéra-tango » du compositeur argentin Astor Piazzolla (1921-1992) est, à la fois, un coup d’éclat et un coup de maître. Coup d’éclat : mise en scène, décors et costumes sont spectaculaires, d’une prenante beauté visuelle, tandis que la qualité musicale est au rendez-vous, avec des solistes, un orchestre et des chœurs au sommet de leur forme. Coup de maître : chaque instant de la soirée, dominée par des danseurs et acrobates aux performances époustouflantes, s’impose.
Bien que l’œuvre ait été créée en 1968, et que le livret – très riche, et parfois légèrement emphatique – d’Horacio Ferrer fasse des clins d’œil aux Beatles et au twist, le metteur en scène suisse, Daniele Finzi Pasca, et son équipe ne s’intéressent pas aux «sixties », leur préférant, si l’on en juge par les costumes, signés Giovanna Buzzi, les années 1930-1940.
L’histoire de Maria, racontée par des retours en arrière depuis sa disparition, se déroule dans une ville onirique, où l’on reconnaît quelques hauts lieux de Buenos Aires. Comme ce cimetière, avec sa paroi d’alvéoles éclairées à la bougie, qui sont autant de tombes. Les costumes ne font appel qu’à deux couleurs : rouge pour les femmes, noir pour les hommes. Et quand survient la mort de Maria, c’est la scène tout entière qui s’embrase et rougeoie.
Des acrobates s’emparent du plateau et de l’espace. Un homme tournoie dans un grand cercle blanc. Des silhouettes se contorsionnent autour d’une corde. Dans une séquence surprenante, surgit une piste de patin à glace, avec des jeunes filles se lançant dans des figures gracieuses, qu’on n’aurait pas attendues en Amérique du Sud…
Les quatre solistes joignent à des voix envoûtantes d’impériales présences d’actrices, Daniele Finzi Pasca ayant décidé que le Duende – que le programme de salle traduit par « gobelin », et qui nous paraît, plutôt, un farfadet aux pouvoirs parfois maléfiques – serait non seulement dédoublé, mais aussi transformé en femme.
La soprano portugaise Raquel Camarinha est une Maria d’une beauté absolue, qui met toute sa flamme dans le célèbre « Yo soy Maria ». Ce n’est certes pas un hasard, si Piazzolla imagina ce personnage passionné pour sa maîtresse, Egle Martin – même si, à la suite d’une rupture, ce fut Amelita Baltar, vedette d’un cabaret de tango, qui créa le rôle, et remplaça Egle dans la vie du compositeur…
Dans le Payador, improvisateur de vers accompagnés à la guitare, la chanteuse argentine Inés Cuello joue d’une autorité naturelle impressionnante. Les deux Duende ont les traits des comédiennes brésiliennes Melissa Vettore et Beatriz Sayad, la seconde arborant une crinière grise, pour suggérer l’image de la sorcière.
Ode à Buenos Aires, échappées au bandonéon et à la guitare : le chef argentin Facundo Agudin mène, avec feu, l’Orchestre de la Haute Ecole de Musique (HEM) de Genève, pour mettre en valeur tangos et milongas, qui se succèdent à un rythme survolté.
Accueil triomphal du public ; Raquel Camarinha et Inés Cuello bissent, en duo, « Yo soy Maria ». Pour finir, un vœu : qu’un spectacle aussi réussi n’en reste pas là, et continue sa carrière.
BRUNO VILLIEN