Opernhaus, 8 octobre
C’est à Thomas Guggeis, 30 ans, que l’Opéra de Francfort (Oper Frankfurt) vient d’accorder sa confiance, pour succéder à Sebastian Weigle, lui-même resté au poste de directeur musical pendant quinze brillantes années. Un passage de relais très attendu, donc.
Si le jeune chef allemand s’était imposé, la veille, dans Don Carlo, par une certaine flamboyance, ses tempi très – et parfois trop – rapides n’en avaient pas moins occasionné une relative confusion. Aléas d’une reprise, donnée avec peu de répétitions préalables ? Peut-être.
Mais le lendemain, pour Le nozze di Figaro, production toute nouvelle, et donc ayant bénéficié d’un temps de mise en place beaucoup plus long, c’est pire ! L’Ouverture démarre en trombe, en laissant la petite harmonie tricoter dans le vide, et les deux premiers actes bringuebalent à qui mieux mieux. En fait, on ne sait jamais trop qui, des chanteurs ou de l’orchestre, court après qui.
Pourtant, Thomas Guggeis paraît savoir où il veut aller, au cours de cette « folle journée », dont il tend le fil à l’extrême, y compris pendant des récitatifs qu’il ponctue, lui-même, au pianoforte. Le problème est que, dans la plupart des cas, « l’intendance » ne le suit pas. Après l’entracte, les chanteurs sont mieux accompagnés – et non plus bousculés –, et un vrai climat mozartien peut enfin s’installer.
Ce type d’essuyage de plâtres surprend, quand même, désagréablement dans une maison de haut niveau – bien que, çà et là, affleure, effectivement, un vrai potentiel.
Un désordre d’autant plus navrant que la distribution est riche en voix de qualité. La Comtesse de la soprano guatémaltèque Adriana Gonzalez ravit par un moelleux du timbre et une variété de nuances, dont elle joue avec beaucoup d’intensité. S’il lui est difficile de rendre pathétique un « Porgi, amor » dont l’orchestre reste raide comme du bois, en revanche, « Dove sono », où l’accompagnement accepte enfin de dialoguer, est un grand moment de chant mozartien.
Même trajectoire ascendante pour la Susanna de la soprano américaine Elena Villalon, dont la légèreté n’est qu’apparente, et dont le « Deh, vieni, non tardar » nous emmène très haut – moment d’émotion à peine perturbé par quelques ornementations, plus artificielles qu’utiles. Superbe Cherubino de sa compatriote Kelsey Lauritano, cette mezzo, à la voix large, s’affirmant, à nouveau, comme l’un des éléments les plus prometteurs de la troupe de la maison.
Du côté des clés de fa rivales, c’est le Figaro du Coréen Kihwan Sim qui l’emporte, par l’ampleur des moyens et la noirceur du timbre. L’acteur, de surcroît, est excellent. Le Comte de l’Ukrainien Danylo Matviienko paraît, paradoxalement, moins impérieux, plus juvénile, mais son baryton souple s’adapte sans peine à une caractérisation impulsive, y compris dans un tumultueux « Vedro, mentr’io sospiro », où même les traits virtuoses ne vacillent pas.
Entourage sans reproche, qui s’intègre dans des ensembles menés tambour battant : un Bartolo plutôt usé, une Marcellina encore très fraîche, un Basilio pince-sans-rire et bien en voix… Et une honnête Barbarina, arrivée en catastrophe de Stuttgart dans la journée, et qui a dû apprendre la mise en scène de son petit rôle au pied levé – tâche pas trop difficile, au demeurant, le concept de Tilmann Köhler restant conventionnel, simple mise en place de l’action face au public, le plus souvent à la rampe.
Trois parois de bois clair délimitent un espace abstrait, où l’on surgit et disparaît à grande vitesse, au gré de nombreuses portes pivotantes. Aucun mobilier, à part des chaises de jardin en nombre variable ; des éclairages peut-être très étudiés, mais dont l’impact dramatique reste indigent ; des costumes modernes, aux couleurs d’un goût hasardeux, mais qui, parfois, retrouvent un rien d’allure XVIIIe , grâce à un accessoire ou un jupon…
Seule l’intensité du jeu sauve l’ensemble, tous les acteurs pouvant entretenir une véritable connivence avec le public. À la fois une jolie virtuosité, dans le traitement de la comédie, et un patent renoncement à tout approfondissement, de la part de Tilmann Köhler.
LAURENT BARTHEL