En 1986, le compositeur et pianiste de jazz américain créait son premier ouvrage lyrique, X : The Life and Times of Malcolm X, sur la vie du militant des droits civiques afro-américains, assassiné en 1965. L’opéra entre au répertoire du Met, dans une production de Robert O’Hara, retransmise, en direct et en haute définition, dans les cinémas français par Pathé Live, le 18 novembre.
C’est dans une version révisée que votre premier ouvrage lyrique, X : The Life and Times of Malcolm X, fait son entrée au répertoire du Metropolitan Opera de New York…
Je me suis replongé dans la partition pendant la pandémie. Comme tout était annulé, j’ai décidé de graver cette œuvre, que j’avais écrite à la main. Je me suis alors rappelé que je n’avais jamais aimé la première scène… Je l’ai coupée, et cela m’a rendu très heureux : l’opéra était beaucoup mieux ainsi ! Ensuite, je me suis rendu compte que je n’étais pas, non plus, convaincu par la transition entres les actes II et III. Je venais de voir le film One Night in Miami (2020) de Regina King, et j’avais été impressionné par une scène entre Malcolm X et sa femme, Betty. J’ai donc remplacé le passage qui ne me plaisait pas par cette scène, intime, qui contraste avec le reste de l’œuvre. Sinon, j’ai, surtout, cherché à réduire. Quand le directeur artistique du Detroit Opera, Yuval Sharon, m’a appelé, peu de temps après, pour me dire qu’il aimerait programmer X, mais dans une version en deux actes, il tombait à pic !
Avez-vous trouvé délicat de reprendre cette partition, trente-cinq ans après l’avoir composée ?
Oui, car je voulais rester fidèle à mon jeune moi. À l’époque, j’avais toute une conception de ce que devrait être l’opéra américain contemporain. Il était important pour moi de ne pas la trahir. Et je voulais aussi préserver la flamme de cette partition, puisque c’était mon premier opéra.
Quelle était, alors, votre vision de l’opéra américain contemporain ?
Il fallait des histoires puissantes, qui parlent de ce que nous sommes, et une musique mêlant les différentes cultures de notre société. Il me semblait évident, par exemple, d’insérer de l’improvisation, issue de la diaspora africaine, à l’intérieur des formes et structures de tradition européenne. Car la musique américaine n’existerait pas sans la musique africaine : elle est née avec l’esclavage, c’est là toute l’ironie de l’histoire ! En fait, je trouve qu’il est très important de réaliser que nous, Américains, possédons notre propre voix et que nous avons un avenir.
Aujourd’hui, que représente la figure de Malcolm X (1925-1965) ?
Je crois que nous n’aurions pas pu avoir le mouvement « Black Lives Matter », sans Malcolm X. Ce qu’il dit est encore si pertinent… Quand, arrêté par la police, il s’exclame : « You had your foot on me, always pressing » (« Vous m’écrasiez avec votre pied, sans relâche »), impossible de ne pas penser à George Floyd ! Ce que raconte cet opéra continue de se passer, aujourd’hui.
Les différentes périodes de la vie de Malcolm X sont exprimées par des styles très différents. Comment jouez-vous avec ces univers sonores ?
Mon frère, Christopher Davis, qui a conçu le récit, avait eu l’idée d’étudier comment la musique avait accompagné Malcolm X, tout au long de sa vie. À Boston, au début des années 1940, il travaillait dans des dance-halls, où il écoutait Lionel Hampton et Charlie Barnet. À New York, vingt ans plus tard, il participait à une émission de radio, tous les dimanches, puis restait pour profiter de la programmation de jazz : John Coltrane, Miles Davis, Sonny Rollins… J’ai donc voulu exprimer l’évolution politique et personnelle de Malcolm X, à travers l’évolution de son environnement musical.
Le rythme paraît central dans cette œuvre…
J’ai beaucoup réfléchi aux structures rythmiques de X, que j’ai même parfois qualifié de « drame rythmique ». Je crois que cette fascination me vient, en partie, de mes années à Yale, où j’ai étudié la musique du sud de l’Inde et le gamelan. J’ai été très marqué par l’articulation des différents groupes rythmiques : tout cela est très présent dans X. J’ai aussi été inspiré par Billie Holiday, qui reste très souple, tout en étant toujours parfaitement en mesure. C’est incroyable, c’est comme si elle avait sa propre notion du temps !
Parlez-nous de la mise en scène de Robert O’Hara…
Robert a fait un travail magnifique, en introduisant, notamment, le concept d’« afrofuturisme » dans X. C’est amusant, parce que mon deuxième opéra, Under the Double Moon, est de la science-fiction. Je n’avais, en revanche, jamais considéré X comme appartenant à ce genre, et je n’aurais jamais cru que ces deux mondes se rencontreraient. La chorégraphie occupe, également, une place importante dans ce spectacle. Lorsque j’ai écrit cette musique, j’étais inspiré par la danse. On peut donc dire que la boucle est bouclée !
ROXANE BORDE