Palau de les Arts « Reina Sofia », 7 octobre
Pour l’ouverture de sa nouvelle saison, le Palau de les Arts de Valence remet sur le métier La Dame de pique, dans la mise en scène de Richard Jones. Une production désormais classique, qui, depuis sa création, à Cardiff, en 2000, a parcouru le monde (Oslo, Bologne, Toronto…), sans rien perdre de sa pertinence.
Cela tient, d’abord, à une suite d’idées visuellement fortes, depuis le portrait de jeune femme vieillissant, au fur et à mesure que l’action avance, à la chambre vue en surplomb, où le squelette de la Comtesse rejoint Hermann dans son lit, en passant par le spectacle de marionnettes illustrant la « Pastorale », dont la virtuosité jouissive suffirait à ravir le public.
Le meilleur atout de cette mise en scène – reprise, comme à Chicago, en février 2020 (voir O. M. n° 160 p. 43 d’avril), par Benjamin Davis, l’assistant de Richard Jones – n’en reste pas moins la direction d’acteurs : réglée au cordeau, pénétrant l’âme des personnages, sur fond d’épure visuelle, par la concentration et l’expressivité des gestes.
Si le rythme théâtral s’en trouve magnifié, c’est, aussi, grâce au sens de la narration dont fait preuve James Gaffigan, à la tête de l’Orquestra de la Comunitat Valenciana. D’un geste ample, le chef américain dessine une trajectoire qui tient, de bout en bout, en haleine, sans autres moments de répit que les brefs changements de décor. Plus enjouée que subtile, sa baguette excelle pour fluidifier les transitions, accumuler les tensions, souligner les soubresauts émotionnels.
La tragédie d’Hermann avance et emporte tout sur son passage, y compris les intentions de ceux étrangers à ses démons, comme Eletski, dont l’air, pris à un tempo allant, presque expéditif, ne fait aucune concession à la volupté lyrique. Il faudrait, certes, au baryton-basse russe Nikolay Zemlianskikh, desservi par un timbre sans éclat et la raideur de sa ligne, une autre étoffe pour incarner la noblesse du personnage – à l’opposé du Tomski, à la fois autoritaire et désinvolte, du baryton ukrainien Andrei Kymach.
C’est là le seul véritable défaut d’une distribution convaincante. On pourra tout juste objecter, du côté des jeunes dames, toutes deux russes, une maturité vocale trop marquée, pour offrir fraîcheur et sensualité à leurs entrées en scène respectives. Question de couleur, s’agissant de la Pauline d’Elena Maximova, dont l’alto sombre, au large vibrato, tourne la « Romance » du mélancolique au lugubre. Question, plutôt, de personnalité, quant à la Lisa d’Elena Guseva, soprano lirico spinto aux moyens conséquents, qui ne s’épanouit pleinement que dans le finale du II et, plus encore, dans sa grande scène du III.
En revanche, la Comtesse de la mezzo allemande Doris Soffel, admirable d’engagement scénique, ménage habilement une voix usée par 50 années de carrière, pour réussir le plus important : créer, par son charisme, une aura de décadence, de nostalgie morbide, de désespoir.
Mais si l’on cherche la vérité du drame, c’est du côté d’Arsen Soghomonyan qu’on la trouvera. Riche, complexe, nuancée comme l’âme de son Hermann, tourmenté moins par l’assaut d’un démon ravageur que par le poids de son humanité originellement blessée.
Alliant un jeu subtil à des qualités vocales hors pair – timbre barytonal, aigu vaillant, ligne souveraine, émission souple –, le ténor arménien campe un géant aux pieds d’argile, fragile et fort, volontaire et hypersensible. Presque en retrait, par rapport à d’autres titulaires du rôle chauffés à blanc, son incarnation refuse, jusqu’au bout, tout excès de pathos, toute démonstration superflue.
PAOLO PIRO