Opéra Bastille, 5 octobre
Pour cette troisième reprise de L’Affaire Makropoulos, dans la mise en scène de Krzysztof Warlikowski, créée en 2007, nous souscrivons toujours au jugement négatif, à rebours du consensus, que formulait alors Monique Barichella, sur une production opérant « un détournement de l’œuvre au détriment de son sens profond », et qui « ne dégage aucune émotion » (voir, en dernier lieu, O. M. n° 89 p. 57 de novembre 2013). Entre autres par ce placage peut-être séduisant, mais artificiel, de la donnée cinématographique, trop souvent en hiatus avec la musique. Et ce, malgré quelques réussites purement plastiques.
Karita Mattila, qui avait abordé le rôle d’Emilia Marty, au San Francisco Opera, en 2010, avant d’y triompher, au Metropolitan Opera de New York, deux ans plus tard (voir O. M. n° 75 p. 61 de juillet-août 2012), est, aujourd’hui, d’un âge, scénique et vocal, contredisant la jeunesse, en principe sans cesse renouvelée, du personnage – Anja Silja, autrefois, étant l’exception confirmant la règle.
D’abord prudente, et couverte par l’orchestre dans les premières scènes, s’engageant ensuite avec une énergie et un courage impressionnants, pour parvenir sans faute aux aigus du grandiose final, la soprano finlandaise n’en rencontre pas moins d’évidentes difficultés, entre cri et parlando, et avec une ligne trop peu soutenue. Si son incarnation dégage un certain pathétique, il tient davantage à l’actrice, à laquelle aucune des pénibles scènes de déshabillage n’est épargnée, qu’à son personnage.
Le contraste est d’autant plus saisissant avec un plateau d’une éclatante santé vocale. De l’Albert Gregor, aussi séduisant qu’héroïque, de Pavel Cernoch – accablant pour celle qu’il est supposé admirer, dans le long duo du I – à la vive et piquante Krista d’Ilanah Lobel-Torres. En passant par le Janek vif-argent de Cyrille Dubois et l’impitoyable Jaroslav Prus de Johan Reuter, mais aussi les deux nouveaux venus sur la scène de l’Opéra Bastille – le Dr. Kolenaty mordant de Karoly Szemeredy, au côté du Vitek d’un relief inusuel de Nicholas Jones –, et enfin le savoureux Hauk-Sendorf de Peter Bronder.
Déjà présente en 2013, Susanna Mälkki porte un Orchestre de l’Opéra National de Paris somptueux, jusqu’à l’extraordinaire final. Cette page, l’une des plus bouleversantes de Janacek, vibre d’une chaleureuse humanité qui ne fait que souligner l’inadéquation, la sécheresse, et finalement la pauvreté de ce que l’on a vu sur scène.
FRANÇOIS LEHEL