Opéra, 3 octobre
La salle de l’Opéra de Rennes est à peine plus grande que celle du Théâtre du Jeu de Paume, dans – mais pas exclusivement pour – laquelle cette production de L’incoronazione di Poppea, merveilleuse surprise de la pénultième édition du Festival d’Aix-en-Provence (voir O. M. n° 185 p. 27 de septembre 2022), a été conçue. Et c’est tant mieux.
L’intimité est, en effet, une condition nécessaire, sinon suffisante, pour goûter, non seulement l’ouvrage – son cantar recitando, où fusionnent, à un degré rarement atteint, au moins pendant les deux siècles suivants, la musique et les mots –, mais aussi le travail de pur théâtre de Ted Huffman, sur cette fusion même, et la vérité des visages et des corps.
Pourtant, bien que le metteur en scène américain ait pris le temps nécessaire, et même luxueux pour une reprise – quatre semaines –, pour s’adapter à de nouvelles personnalités, de nouveaux physiques, aussi, le miracle ne se reproduit pas. Non pas que les intentions paraissent édulcorées, mais parce que le naturel absolu de la création n’y est plus.
Il faut excepter Paul-Antoine Bénos-Djian, seul, parmi les protagonistes, à avoir participé à cette naissance, et qui, d’emblée, se révèle très au-dessus de ses partenaires. Mais le contre-ténor français l’est, aussi, et surtout, par la conjonction de dons décidément inestimables. À commencer par cette assise inouïe dans le bas du registre, où le timbre puise sa captivante profondeur. Et quel Ottone, dont la tessiture si grave a condamné tant de falsettistes à une atonie neurasthénique, a déployé cette vibrante et poétique sensibilité au texte, alliée à une constante, et si touchante, justesse du geste et du regard ?
Ray Chenez, s’il ne doit pas lutter contre les tensions provoquées, chez Jake Arditti, à Aix-en-Provence, par l’écriture sopranisante de Nerone, n’en paraît que plus effacé, échouant à incarner – l’illusion de – son désir pour Poppea. Aussi dénudée que le reste de décence du théâtre lyrique contemporain le permet, Catherine Trottmann doit, donc, assumer seule la sensualité du couple, bien que sa plastique de femme, ici encore un peu enfant, la fasse plus glamour qu’authentiquement charnelle – ce que pallient, en partie, les reflets mordorés que la soprano a conservés de son très récent passé de mezzo.
En Ottavia, Victoire Bunel s’affirme peu à peu, trouvant le ton juste dans le dépouillement total, et bouleversant in extremis, de son « Addio Roma ». Maïlys de Villoutreys est, en revanche, une Drusilla de peu d’attrait, sans couleur, ni enjouement, pointue souvent, et si peu latine. L’ingénuité bravache manque au Valletto de la soprano Camille Poul, autant que l’assurance de son pouvoir sur les mortels, et de sa supériorité sur les déesses qui le lui disputent, à son Amore : concentrée, incisive, au point que son chant en devient agressif, comme si elle en voulait à la terre entière.
La basse Adrien Mathonat peut, pour Seneca, davantage varier l’intonation, tandis que Paul Figuier ne paraît pas toujours à l’aise dans le double travestissement, le transformisme même, que lui imposent ses allers-retours entre Arnalta et Nutrice – parce que le contre-ténor français est, d’évidence, taillé pour Ottone, qui l’attend, d’ailleurs, en avril prochain, à l’Opéra de Toulon, dans ce même spectacle.
Prenant, pour cette seule reprise, le relais de Leonardo Garcia Alarcon, Damien Guillon est, à la tête de l’ensemble Le Banquet Céleste, qu’il a fondé en 2009, et dont il quittera la direction artistique à la fin de la saison, bien moins interventionniste que son prédécesseur, en quête permanente, et parfois excessive, de ruptures et de surprises.
Les doublures de cornets et de flûtes à bec, dans certaines sinfonie et ritournelles, semblent, dès lors, superflues, tant sa réalisation du continuo, portée par un groupe superbement soudé et réactif, colle aux plus infimes mouvements du discours et de la mélodie, éléments indissociables, assurément, de l’ultime « dramma in musica » de Monteverdi.
MEHDI MAHDAVI