Opéra National de Lorraine, 1er octobre
D’abord annoncé comme une version semi-scénique, mais finalement transformé en production à part entière par le metteur en scène italien Lorenzo Ponte, auquel Matthieu Dussouillez, son directeur, a ouvert les portes des réserves de l’Opéra National de Lorraine, cet Idomeneo vaut, d’abord, pour une distribution de très belle facture. Avec, en premier lieu, l’Elettra d’Amanda Woodbury.
On est immédiatement happé par la qualité de son soprano, presque mezzo, à la généreuse colorature – un rare équilibre pour ce rôle difficile à incarner, entre Reine de la Nuit (Die Zauberflöte) et Donna Anna (Don Giovanni). Interprète charnelle, irradiante, la cantatrice américaine livre une prestation de rêve, d’un aérien « Idol mio » à un chtonien « D’Oreste, d’Aiace ».
Pourvue de semblables qualités d’équilibre et de confort, Siobhan Stagg est une Ilia valeureuse, mais fragile, dont le timbre possède cette lumière voilée, évocatrice de la regrettée Lucia Popp. En Idamante, Héloïse Mas a, certes, davantage le profil d’un Octavian (Der Rosenkavalier). Mais la voix, large pour le rôle, sait se glisser progressivement dans le moule mozartien.
Les ténors ne sont pas en reste, avec, d’abord, l’Arbace remarquable de Léo Vermot-Desroches. Très prometteur, le jeune Français tient la dragée haute à Toby Spence. Mais si ce dernier accuse quelques raideurs dans le redoutable « Fuor del mar », l’émotivité de son legato et ses demi-teintes donnent l’image d’un Idomeneo fracturé, en adéquation avec les intentions de Lorenzo Ponte.
On a, hélas, été bien irrité par le propos. Le metteur en scène tord inutilement l’intrigue, afin d’y introduire ces (désormais) poncifs de l’actualité que sont haine du patriarcat, viol et inceste – oublié le questionnement sur la guerre et ses sacrifices, moteurs autrement plus efficients pour reconsidérer le tragique de l’œuvre.
Conséquence de cette décontextualisation, le roi Idomeneo n’est plus que le parrain d’une famille évidemment dysfonctionnelle, et le Grand Prêtre de Neptune, un curé de quartier. Ilia et Idamante sont des enfants incestueux, mal remis de la mort de leur mère, la reine Meda, personnage étranger au livret et sorti, on ne sait pour quelle raison, du chapeau de Lorenzo Ponte. Cette présence incongrue se mélange à celle d’Elettra, rajoutant à l’illisibilité générale, par ailleurs en fréquent contresens avec le surtitrage.
Enfin, au rayon des problématiques qu’il aurait été dommage d’omettre, figurent également la chaise roulante (le handicap ?) et l’euthanasie (!?), tout cela dans une ambiance « Pasolini années 1960 »…
De quoi desservir le travail de Jakob Lehmann, qui dirige, avec finesse et impétuosité, une impeccable phalange nancéienne. Ce Mozart charnu et virevoltant, où s’impose le Chœur de l’Opéra National de Lorraine, méritait mieux.
VINCENT BOREL