Opéras La Fille Angot échoue en mai 68 à Paris
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La Fille Angot échoue en mai 68 à Paris

05/10/2023
Hélène Guilmette (Clairette, au centre). © Jean-Louis Fernandez

Salle Favart, 27 septembre

Ayant souvent, dans ces colonnes, appelé au retour de La Fille de Madame Angot (Bruxelles, 1872) dans un théâtre parisien, c’est le cœur plein d’enthousiasme que nous sommes allé découvrir la nouvelle mise en scène de l’Opéra-Comique, coproduite avec le Palazzetto Bru Zane, l’Opéra de Lyon, l’Opéra Nice Côte d’Azur et l’Opéra Grand Avignon. Las, ce que nous avons vu est tellement éloigné de nos attentes que nous nous sommes surpris à nous interroger sur le bien-fondé de cette résurrection.

Le choix d’arracher l’intrigue à la période du Directoire, pour la situer en mai 68, appelle trois remarques. D’abord, s’agissant d’un titre devenu une grande rareté, la fidélité au cadre historique original devrait être de rigueur : La Fille de Madame Angot n’est pas suffisamment connue des mélomanes actuels pour tolérer, a priori, la transposition.

Ensuite, le livret est tellement bourré de références aux événements de la période 1795-1799  que le décalage entre ce que l’on voit et ce que l’on entend finit par devenir lassant. Enfin, et surtout, une transposition, dans le temps comme dans l’espace, ne devrait jamais perdre de vue le sens profond d’un ouvrage, en l’occurrence celui d’un divertissement drôle et charmant.

Le décor de Bruno de Lavenère, déjà, ne possède aucun charme. Il est même laid : un échafaudage complexe de teinte ocre, représentant une usine d’assemblage d’automobiles (Renault à Boulogne-Billancourt, semble-t-il, point de cristallisation des grèves de mai 68), aux actes I et III ; une salle de cinéma assez glauque, au II. Les costumes du même, vivement colorés pour les ouvriers et ouvrières de l’usine (c’est la moindre des choses, s’agissant d’un « opéra-comique » ne cherchant qu’à divertir !), ont un inconvénient : ils ne dessinent pas tous un personnage.

Ainsi de celui de Mademoiselle Lange, les cheveux noirs coupés au carré et habillée d’une petite robe « sixties », évoquant Jeanne Moreau dans La Mariée était en noir de François Truffaut (1968). Est-elle une actrice ? La propriétaire, ou la gérante, du cinéma du II ? Et quel est son rôle dans la conspiration contre le gouvernement ? Ange Pitou, le seul en costume Directoire (parce que c’est un « réactionnaire » !), s’en sort mieux, mais la ficelle paraît trop grosse pour être crédible.

Plus grave, encore, ce spectacle n’est jamais drôle. Que l’on me permette un souvenir personnel, celui d’une représentation de La Fille de Madame Angot, au Grand-Théâtre de Bordeaux, dans les années 1970, à l’époque où ce bijou faisait encore partie du répertoire courant. Je me rappelle une salle écroulée de rire pendant le « Chœur des conspirateurs », au II, emmené par le Trénitz désopilant du regretté Christian Asse (1926-2020). À l’Opéra-Comique, le même chœur, conduit par un Trénitz inexistant, n’a pas arraché un sourire aux spectateurs assis autour de moi !

Richard Brunel est un metteur en scène trop professionnel pour laisser le tout partir à vau-l’eau. Les mouvements des choristes sont impeccablement réglés, ceux des solistes également, mais, faute de charme, la machine de l’« opéra-comique » tourne à vide, dans les passages chantés comme dans les dialogues parlés – drastiquement coupés, au point de défigurer un ouvrage dont ils font intrinsèquement partie.

Dommage, car Hervé Niquet, à la tête de forces musicales impeccables (Orchestre de Chambre de Paris, Chœur du Concert Spirituel), dirige cette musique comme nous ne l’avions jamais entendue. Le rythme, l’esprit, sont là en permanence, la vitalité du chef ne s’exerçant jamais au détriment de la tendresse des mélodies. Du très, très grand art, hélas complètement en décalage avec ce qui se passe sur scène.

Ainsi de l’irrésistible valse de la fin du II (« Tournez, tournez »), chantée par les chœurs assis (!) dans les fauteuils de la salle de cinéma, entourés de CRS figurant les « soldats d’Augereau » (!). Le hiatus, à ce moment précis, devient carrément insupportable,  donnant au spectateur l’irrésistible envie de rentrer chez lui, à l’entracte.

La distribution, inégale, est dominée par le Pomponnet, très bien chantant et attendrissant, de Pierre Derhet, et par le Larivaudière, épatant de présence et de vis comica, de Matthieu Lécroart. Hélène Guilmette ne connaît aucun problème vocal en Clairette, mais elle manque un peu de fraîcheur et de gouaille. Quant à Véronique Gens, elle ne paraît pas très à l’aise dans la tessiture de Mademoiselle Lange, expressément destinée à une mezzo-soprano (un handicap masqué par les micros, dans l’intégrale publiée sous étiquette Palazzetto Bru Zane).

Ange Pitou appelle un discours à part. Comme dans le disque susmentionné, et comme à la création de l’ouvrage, le rôle est confié à un ténor, au lieu du baryton Martin de tradition. Pourquoi pas ? Mais il faut alors faire appel à un ténor à l’émission naturellement plus basse que celle de Mathias Vidal, hier, ou Julien Behr, aujourd’hui. Ce dernier a l’élégance et la légèreté du « chansonnier réactionnaire », mais la tessiture est un peu grave pour lui.

Comment, enfin, a-t-on pu distribuer Amaranthe à une jeune soprano, membre de l’Académie de l’Opéra-Comique pour la saison 2023-2024 ? La pauvre Ludmilla Bouakkaz n’en peut mais : elle n’a ni l’âge, ni la voix, ni la gouaille de cette « dame de la Halle », dont le célèbre « Marchande de marée, pour cent milles raisons » passe complètement inaperçu.

En somme, une occasion ratée, dont on espère que La Fille de Madame Angot se remettra.

RICHARD MARTET

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