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Des Pêcheurs de perles entre Bollywood et convention à Toulouse

02/10/2023
Anne-Catherine Gillet (Leïla). © Mirco Magliocca

Théâtre du Capitole, 26 septembre

Avouons que découvrir cette nouvelle production des Pêcheurs de perles, en ouverture de la saison 2023-2024 de l’Opéra National Capitole Toulouse, a quelque chose de réconfortant, cinq jours après les élucubrations du Don Carlos mis en scène par Lydia Steier, au Grand Théâtre de Genève : toiles peintes en fond de plateau, avec une mer et un ciel bien bleus ; palmiers en carton-pâte ; échafaudages en bambou, pour représenter le village de pêcheurs.

À ce décor on ne peut plus traditionnel, répondent des costumes chamarrés, évoquant ces fastueuses cérémonies de mariage qui constituent le clou de nombreux films bollywoodiens. L’un des plus réussis est celui de Leïla, composé d’un justaucorps constellé de pierreries, d’un collant et de ballerines bleus, complétés par une spectaculaire coiffe ornée de joyaux. Les lumières, très bien réglées, atténuent ce que l’ensemble pourrait avoir de trop clinquant, créant une belle obscurité, à l’acte III.

Personnellement, nous n’avons rien contre ce type de spectacle, respectueux des didascalies du livret. À la condition, comme nous l’avons souvent dit et écrit, qu’une direction d’acteurs affûtée vienne animer cette succession d’images d’Épinal qui, sans cela, risque de paraître monotone et datée. Hélas, Thomas Lebrun, directeur du Centre Chorégraphique National de Tours, agit uniquement en tant que chorégraphe, en abandonnant les chanteurs, qui errent sans but sur le plateau ou se figent dans des poses convenues.

L’idée de mettre des danseurs sur scène n’a, évidemment, rien de rédhibitoire. Mais leurs évolutions devraient se limiter aux seuls moments où le livret les réclame, à savoir le début du I et du second tableau du III. Ailleurs, leur présence est, au mieux, inutile, au pire, lassante, surtout au bout de deux heures quarante de représentation.

Un exemple ? La ballerine voilée qui flotte sur ses pointes, pendant toute la première partie du duo Nadir/Zurga (« Au fond du temple saint »), puis s’éclipse, quand Zurga dit « Elle fuit ! ». Difficile de faire plus pléonastique et superfétatoire, cette espèce de dame blanche empêchant le spectateur de se concentrer sur l’enivrante mélodie surgie de la plume de Bizet ! Le compositeur et ses librettistes, Michel Carré et Eugène Cormon, savaient quand même ce qu’ils faisaient, en spécifiant : « Les pêcheurs dansent, puis se dispersent. Zurga et Nadir restent seuls. »

Thomas Lebrun et ses « collaborateurs artistiques », Raphaël Cottin et Angelo Smimmo, ont choisi de transformer Nourabad en drag queen chauve et barbue, toute de rose vêtue, avec un énorme sautoir de perles autour du cou. Faut-il y voir une touche de parodie, censée introduire une distance par rapport au respect de la lettre du livret ? Nous nous sommes posé la question mais, si tel est le cas, c’est bien la seule tentative en la matière que nous ayons repérée.

Musicalement, les choses se passent nettement mieux, sans totalement nous combler. Ainsi du Chœur de l’Opéra National du Capitole, préparé par Gabriel Bourgoin, d’une cohésion parfois prise en défaut, avec des sopranos un rien trop criardes, au I. Victorien Vanoosten, il est vrai, les pousse dans leurs derniers retranchements, faute d’avoir pris la juste mesure de l’acoustique du théâtre (il n’est pas le premier !). Sous sa baguette, l’Orchestre National du Capitole, par ailleurs sans reproche, joue presque toujours trop fort, avec un résultat excitant dans les finales du II et du III, mais une perte de transparence et de poésie dans les moments élégiaques.

Entièrement francophone, la distribution brille par la qualité de sa diction, de bout en bout exemplaire, au point de rendre inutiles les surtitres. Vocalement, on distinguera, d’abord, le superbe Nourabad de Jean-Fernand Setti, en constants progrès et désormais digne de rejoindre le peloton de tête des basses françaises. Quelle qualité de timbre et quelle fermeté dans l’émission !

Alexandre Duhamel campe un Zurga idéalement arrogant et sonore, mais un peu trop démonstratif. On aimerait, dans les passages d’introspection, qu’il fasse preuve de la même intériorité que dans ses remarquables Golaud (Pelléas et Mélisande) ou Guillaume Tell.

Mathias Vidal n’est pas le premier ténor spécialiste du répertoire dit « baroque » à succomber à la tentation de certains emplois de l’opéra français du XIXe siècle. Mais Nadir est-il un bon choix ? Autant nous avions été séduit par son Cinq-Mars, dans l’ouvrage éponyme de Gounod, au disque (Palazzetto Bru Zane,  2015), puis à la scène (Leipzig, 2017), autant nous restons, cette fois, perplexe.

Certes, le musicien est toujours aussi raffiné et expressif, avec un timbre ayant conservé sa qualité intrinsèque. Mais l’aigu manque cruellement de projection : trop détimbré dans les moments de douceur (les deux célèbres si pianissimo de « Je crois entendre encore »), et donnant l’impression de partir en arrière dans les paroxysmes (le si bémol couronnant la reprise à pleine voix de la mélodie du duo avec Leïla, sur les mots « Ah ! oui, ton cœur avait compris le mien ! »).

Dans son compte rendu des Pêcheurs de perles, à Liège, en mai 2015 (voir O. M. n° 107 p. 55 de juin), le regretté Jean-Luc Macia écrivait : « Anne-Catherine Gillet offre une Leïla à l’incontestable fraîcheur, à l’aise dans tous les registres, avec un brio rare dans les vocalises, comme dans les sons filés et les demi-teintes. Du grand art. » Huit ans plus tard, l’aisance, le brio et le grand art sont toujours là, mais la voix sonne moins fraîche.

C’est surtout gênant au début de l’opéra, quand l’héroïne doit être enveloppée de pureté et de mystère. Ensuite, l’écriture devient de plus en plus dramatique, jusqu’aux redoutables duo avec Zurga et trio final du III, quand le soprano aérien du I doit se transformer en grand lyrique, sur le modèle de Marguerite (Faust). Là, Anne-Catherine Gillet trouve enfin matière à déployer un instrument qui s’est corsé, en vingt-sept années de carrière, et un tempérament plus volcanique qu’autrefois, avec de percutants si bémol et si naturel fortissimo.

Un mot, pour conclure, de la partition, établie à partir de l’édition critique réalisée par Hugh Macdonald (Alkor-Edition/Bärenreiter). Contrairement à l’Opéra-Comique, lors de sa dernière production des Pêcheurs de perles (2012), le Capitole n’a pas opté pour le strict respect de la version originale de la création (Paris, Théâtre-Lyrique, 30 septembre 1863). Pour le duo « Au fond du temple saint », par exemple, il a préféré la traditionnelle reprise du thème « Oui, c’est elle ! C’est la déesse ! » à la fin prévue par Bizet.

Plus discutable nous semble l’ajout d’un interlude entre le I et le II, constitué par la « Petite Suite d’orchestre » Jeux d’enfants, op. 22. Jolie musique, certes, mais dont on perçoit mal la nécessité, en dehors du temps nécessaire au changement de décor (on entend les bruits faits par les machinistes derrière le rideau !). Un petit entracte n’aurait-il pas été préférable ?

RICHARD MARTET

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