Villa Noailles, 17 septembre
La Villa Noailles est cette incroyable maison moderniste, que le couple de mécènes Marie-Laure (1902-1970) et Charles de Noailles (1891-1981) fit construire, dans les années 1920, sur les hauteurs de Hyères. Conçue par Robert Mallet-Stevens, l’un des plus célèbres architectes de l’époque, elle accueillit d’innombrables artistes, qui y ont laissé des traces.
Ce qui ne devait donc être qu’une petite maison à habiter devint rapidement un château cubiste de 2 000 mètres carrés ! Mais après la mort de ses propriétaires, la Villa tomba en déshérence. Heureusement transformée en Centre d’art, dirigé avec passion par Jean-Pierre Blanc, elle est devenue un lieu incontournable qui, outre les expositions, accueille, depuis 1986, le Festival International de Mode, de Photographie et d’Accessoires.
C’est pour fêter les 100 ans de cette illustre demeure que son directeur a eu l’idée, au milieu de tout un ensemble de manifestations, de commander un opéra – en partenariat avec l’Opéra de Toulon – qui lui rende hommage. Il en a confié la musique au compositeur et chef d’orchestre français Raphaël Lucas (né en 1983), à Simon Johannin, pour le livret, et à Vincent Huguet, pour la mise en scène, avec l’idée de créer cette œuvre au sein même du lieu. Mais celui-ci n’est évidemment pas fait pour accueillir un opéra traditionnel, et il a fallu réfléchir à une forme qui s’y adapte. La solution trouvée a été de diviser la pièce en trois actes, offrant des configurations différentes.
Le I prend place face à la mer, dans les jardins, où l’Orchestre Symphonique de l’Opéra de Toulon est installé. Il raconte la naissance de la Villa Noailles, et l’esprit qui l’a animée. Le II, qui se déroule à l’intérieur de la maison, relate la période de la Seconde Guerre mondiale : le public, divisé en trois groupes, déambule dans différentes pièces, où une coupe de champagne lui est offerte, et où il assiste à des morceaux musicaux de différentes natures.
Le III, enfin, se passe, à nouveau, dans les jardins, mais à un emplacement inverse à celui du I, c’est-à-dire devant la façade de la Villa, sur laquelle des photos et des vidéos pourront être projetées. Ce dernier acte évoque le présent de la maison, et ce qu’elle est devenue. On assiste même à un défilé de mode, et l’œuvre se termine par une fête, à laquelle le public est invité à participer !
Bien sûr, il ne s’agit pas de juger Ressusciter la rose, qui n’existe que pour et par rapport à ce lieu, avec les mêmes critères qu’un spectacle traditionnel. On est là face à un événement atypique, qui ne ressemble à rien d’autre. Mais l’œuvre, qui a pour sous-titre « opéra », fait appel à une formation classique, tout en étant mélangée à ce qu’on pourra appeler de la « variété », et demande donc, à ce titre, à être considérée comme telle.
Dès lors, le premier reproche concerne le livret. Pourquoi l’avoir fait débuter avec la lecture d’un poème de Marie-Laure de Noailles, qui n’a qu’un lien vague avec le sujet ? Pourquoi, dans ce même premier acte, avoir consacré une longue scène au Professeur de gym (puisque le couple, en accord avec son époque, prônait les vertus du sport), qui n’est quand même qu’anecdotique ? Dans le même temps, les artistes ayant contribué à la gloire de la Villa, et qui sont légion – Jean Cocteau, par exemple, ou encore Man Ray, Luis Buñuel, Alberto Giacometti, Salvador Dali, etc. –, sont à peine cités. Et la déambulation à l’intérieur de la maison, avec les pauses que cela nécessite, nuit à l’unité et à la concentration.
Compositeur, notamment formé à la Manhattan School of Music de New York, mais aussi photographe, Raphaël Lucas signe une partition hésitant entre tradition debussyste et comédie musicale. Si elle n’est pas sans charme mélodique, quoique parfois un peu invertébrée, elle a tort de vouloir faire cohabiter chanteurs lyriques et pop. Car ce mariage, loin de créer une dynamique, les contraint à un compromis, qui ne valorise, ni les uns, ni les autres.
Il faut dire que les premiers (les sopranos Jeanne Gérard et Delphine Mégret, le ténor Bastien Rimondi) ne brillent, ni par la clarté de leur diction, ni par la justesse de leurs aigus – les femmes, surtout. Et qu’ils pâtissent de la présence plus marquante du danseur Yanis Siah ou de la chanteuse et actrice Camélia Jordana, qui intervient à la fin, en « guest star », pour incarner Marie-Laure de Noailles au présent.
La mise en scène de Vincent Huguet a la lourde responsabilité d’unifier le tout. Et elle y parvient, avant tout, grâce à la présence des acrobates du groupe Wonsembe. Aussi beaux à regarder que leurs cascades sont spectaculaires, ils sont presque les principaux protagonistes de cette création. Pour le reste, elle se contente d’une jolie mise en place.
PATRICK SCEMAMA