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Opéras

Flavio en forme de pied de nez au Cid à Bayreuth

27/09/2023
Julia Lezhneva (Emilia). © Falk von Traubenberg

Markgräfliches Opernhaus, 15 septembre

Le programme de cette quatrième édition du « Bayreuth Baroque Opera Festival » comporte, pour la première fois, non pas un, mais deux opéras mis en scène : une réécriture, avec arrangements et musiques électroniques, de L’Orfeo de Monteverdi, insérée entre les représentations de Flavio, « dramma per musica » de Haendel, créé à Londres, voici trois cents ans. L’ouvrage est plus connu, aujourd’hui, par une fameuse caricature, présentant trois étoiles de sa distribution renversante – les castrats Senesino (Guido) et Gaetano Berenstadt (Flavio), entourant Francesca Cuzzoni (Emilia) –, que par la trace dans l’histoire, tant de ses douze représentations, du vivant du compositeur, que de celles qui ont suivi sa résurrection, à Göttingen, en 1967.

Le livret de Nicola Haym est pourtant une satire enlevée de l’absolutisme, construite à partir du Cid de Corneille. Jaloux de n’avoir pas été nommé gouverneur d’Angleterre, Lotario, conseiller du roi Flavio, gifle Ugone, son rival heureux, qui va crier vengeance auprès de son fils Guido, fiancé à Emilia, la fille de Lotario. L’intrigue restant trop mince au goût de l’époque, Haym et Haendel y ont ajouté les amours de Vitige, l’adjudant de Flavio, et de Teodata, la fille d’Ugone, contrariées par le fait que le souverain, désirant cette dernière, mette en cause certaines de ses décisions politiques pour assurer son plaisir. Le public de la création ne fit pas un triomphe à cet ouvrage hybride, qui resta d’abord un vecteur pour le chant virtuose.

Max Emanuel Cencic qui, avec la direction artistique du Festival, assure, non seulement la mise en scène, mais aussi le rôle de Guido, a bien compris que cette «­ comédie antihéroïque », selon les termes de René Jacobs, ne tiendrait pas en haleine le public d’aujourd’hui. Il en a donc rajouté dans le comique. Ébats crus des amants, union publique avec la reine – si peu désirée qu’elle nécessite l’assistance de matrones aux poitrines généreuses, pour exciter le rut royal –, parties de cartes avec chocolat chaud sont, bien évidemment, inventés de toutes pièces.

Mais on s’amuse des ridicules d’une cour drolatique, que précisent les costumes « historiquement informés » de Corina Gramosteanu, installés devant un paravent à six panneaux (beaux marbres verts ou rouges, inspirés du Versailles du Roi-Soleil), dont les mouvements nécessitent d’ailleurs le recours à des extraits de Water Music et autres musiques du temps. Et cette transposition, en forme de pied de nez au Cid, fonctionne bien.

Durant la première période de la Royal Academy of Music, que clôt Flavio, en 1723, Haendel n’en est, cependant, pas encore aux explosions de génie à venir, dès l’année suivante, dans Giulio Cesare et Tamerlano, bientôt suivis de Rodelinda. Retrouve-t-on, pour compenser, les exploits vocaux des gloires du XVIIIe siècle ? Pas totalement, même si le Concerto Köln, mené tambour battant par Benjamin Bayl, non seulement soutient parfaitement le propos scénique, mais sait aussi trouver l’émotion des épanchements amoureux et l’agitation des emportements colériques.

C’est bien Julia Lezhneva, Emilia fragile et volontaire, qui remporte un triomphe, avec ses airs de Gruberova introvertie, et une voix encore saisissante de sensibilité, même si elle s’est légèrement durcie. Max Emanuel Cencic a, lui aussi, perdu un peu de sa splendeur. Et Guido, son personnage, qui n’a rien d’un héros, reste un rien engoncé, et plus assez juvénile, à l’inverse du Flavio élastique de Rémy Brès-Feuillet.

Le jeune contre-ténor français, excellent acteur évanescent, chante fort délicatement, bien qu’il lui reste encore à étoffer ses qualités. Et si le Vitige de Yuriy Mynenko est lumineux, c’est son adorée, Teodata, incarnée par Monika Jägerova, qui domine tous leurs duos de son mezzo puissant.

Le baryton-basse Sreten Manojlovic, Lotario un peu trop fringant, et le ténor Fabio Trümpy, Ugone âgé comme il convient, complètent une distribution, bonne à défaut d’être éblouissante, qui ne métamorphose pas l’œuvre, mais aura, au moins, permis qu’on y prenne un réel plaisir.

PIERRE FLINOIS

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