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Le nozze di Figaro sauvagement massacrées à Salzbourg

26/09/2023
Sabine Devieilhe (Susanna) et Andrè Schuen (Il Conte di Almaviva). © SF/Matthias Horn

Haus für Mozart, 5 août 2023

La présence de Martin Kusej pour ces nouvelles Nozze di Figaro renvoie à l’ère Mortier, quand ses productions de Don Giovanni (2002), puis de La clemenza di Tito (2003), provoquaient une espèce de révolution. Raison invoquée pour justifier son troisième Mozart salzbourgeois, qui marque aussi un retour de balancier, après la très sage et séduisante mise en scène de Sven-Eric Bechtolf, en juillet-août 2015 (voir O. M. n° 110 p. 67 d’octobre).

Martin Kusej balaie d’un revers de main toute idée d’une illusoire « fidélité » aux œuvres originales, comme il écarte l’idée d’un supposé « cycle Da Ponte », ou d’une spécificité « XVIIIe » de l’œuvre – affirmations très risquées, qui pourraient aussi paraître contradictoires avec la pratique « historiquement informée » du chef français Raphaël Pichon.

Le metteur en scène autrichien rejette aussi à l’arrière-plan les aspects politiques, et même les qualités d’une « comédie », qui lui paraissent très surévaluées, pour valoriser exclusivement la dimension érotique de l’opéra, où il voit d’abord désirs, désillusions et solitude désespérée de chacun. Dans cette voie, il ne réussit que trop bien, proposant, en effet, un spectacle sans un soupçon de drôlerie, souvent lugubre même, quand il ne vire pas, de fait, à un érotisme de bas étage, voire de la dernière grossièreté.

À commencer par le « duettino » du I, où Susanna brocarde Marcellina, devenue une scène insensée, où la première est surprise sur le siège des toilettes par la seconde, et se venge en lui tendant hypocritement un rouleau de papier hygiénique, trempé d’eau ! Et à suivre, au II, avec un « Porgi, amor », où la Comtesse est placée, rêveuse, devant L’Origine du monde de Gustave Courbet (Paris, musée d’Orsay), tandis qu’une figurante entièrement nue offre largement son postérieur sur le bord de la baignoire, à l’intérieur de laquelle elle est assise…

Les décors impeccablement glacés de Raimund Orfeo Voigt servent parfaitement le propos, jusqu’à ce naufrage définitif du grandiose finale du II, condamné au resserrement d’un sous-sol de cave faiblement éclairé par les soupiraux, où s’entassent les sacs d’ordures sur lesquels veille le « jardinier » Antonio, et avec tous les acteurs prostrés au sol. Un massacre sauvage impardonnable, pour ce qui témoigne, au total, plus des obsessions personnelles de Martin Kusej (ajoutant aussi à plaisir coups de feu, sang et autres nudités), que du génie de Mozart.

Dommage pour une partie musicale de haut niveau, dominée par la Comtesse d’Adriana Gonzalez, qui suscite les rares moments d’émotion de la représentation, par la chaleur de son médium moiré, une intériorisation exemplaire, la tenue du style, la beauté des phrasés – et le parfait legato de « Dove sono », justement acclamé, même si l’on pourrait souhaiter un aigu qui s’épanouisse alors plus largement.

Sabine Devieilhe, a priori un peu légère pour le rôle, mais excellemment projetée, compose, avec une maîtrise souveraine et la plus grande intelligence, une Susanna à la fois volontaire et nuancée. L’impeccable performance vocale de Lea Desandre souffre du Cherubino trop incertain, et plutôt pantin triste, qui lui est imposé, bien loin de l’éblouissant personnage, tout en finesses malicieuses, qu’elle proposait à l’Opéra de Lausanne, en novembre 2021 (voir O. M. n° 178 p. 51 de décembre-janvier 2021-2022).

Andrè Schuen assure imperturbablement, au milieu de ces insanités, un Comte d’une noblesse de haute volée, chez qui triomphent les moyens d’un baryton-basse en plein développement. Mais la plus grande victime des hasardeuses propositions scéniques de Martin Kusej reste, avant tout, le Figaro de Krzysztof Barczyk, caricaturé en alcoolique velléitaire, notamment dans une désastreuse scène de bar, au moment de la reconnaissance, par Marcellina et Bartolo, de leur fils perdu, traitée à la blague, et manquant complètement son effet.

Propulsé d’un coup, audacieusement, à la tête d’un orchestre (Wiener Philharmoniker) toujours aussi éblouissant, Raphaël Pichon entame avec une Ouverture rapide, et même électrisante. En dépit de quelques petits décalages avec le plateau, il poursuit avec d’excellents tempi et des libertés inusuelles, mais acceptables, même si l’on aurait aimé moins de rudesse, et plus de subtilités dans les phrasés.

FRANÇOIS LEHEL

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