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Deux chefs pour Les Troyens à La Côte-Saint-André

26/09/2023
Michael Spyres (Énée) et Paula Murrihy (Didon). © Bruno Moussier

Cour du Château Louis XI, 22 & 23 août 2023

En cette année 2023, John Eliot Gardiner avait souhaité diriger Les Troyens, à l’occasion de son 80e anniversaire, à la faveur d’une tournée devant le conduire de La Côte-Saint-André aux « BBC Proms » de Londres, en passant par le Festival d’été de Salzbourg, l’Opéra Royal de Versailles et la Philharmonie de Berlin. Les dieux de la musique en ont décidé autrement.

Une brutale altercation avec la jeune basse britannique William Thomas, dont la presse s’est largement fait l’écho, alliée à la canicule sévissant en Isère, l’ont poussé à se retirer, après avoir dirigé les deux premiers actes de l’opéra de Berlioz – le Festival ayant choisi, pour des raisons notamment techniques, de représenter Les Troyens en deux soirées successives.

C’est donc à son brillant assistant, le chef portugais Dinis Sousa, qu’est revenu le défi de diriger la seconde soirée. Et c’est à lui, très logiquement, qu’a été échue la tâche d’emmener Les Troyens au fil des étapes de la tournée annoncée.

L’ouvrage de Berlioz avait déjà été donné à La Côte-Saint-André. François-Xavier Roth avait dirigé, en 2019, La Prise de Troie, c’est-à-dire les deux premiers actes (redistribués en trois actes distincts), puis, en 2021, Les Troyens à Carthage, soit les actes III à V (précédés d’un Prologue, qui n’avait jamais été entendu depuis 1863).

John Eliot Gardiner, lui, sans distinguer explicitement les deux parties, a souhaité faire entendre les cinq actes, en se conformant à la partition Bärenreiter – alors qu’en 2003, au Théâtre du Châtelet, il avait exhumé partiellement le vaste finale original du dernier acte, révélé dans toute son ampleur, quelques semaines plus tôt, au Nationaltheater de Mannheim, et jamais repris depuis.

Superbement rendus par les couleurs de l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique, les deux premiers actes des Troyens nous frappent par la majesté des tempi choisis par le chef britannique, plus soucieux de déploration que de drame, au risque de ne pas varier suffisamment la pulsation.

Si l’on peut imaginer ce qu’a pu apprendre Dinis Sousa de son travail avec Gardiner, on ne saura jamais comment ce dernier aurait dirigé, en 2023, les actes III à V. Il semble, cependant, que leur approche ne soit pas exactement la même, et que le plus jeune, en quelques heures, ait su imprimer sa marque.

Dinis Sousa adopte, en effet, le lendemain, des mouvements assez vifs, mais surtout souligne davantage les contrastes, notamment de dynamique. Le risque est autrement grand, à Carthage, de relâcher la tension, notamment au fil du « Quintette », du « Septuor » et du « Duo » du IV, travers dans lequel le jeune chef ne tombe jamais, grâce au soin apporté à l’articulation des numéros entre eux et à la clarté de l’étagement des plans sonores. On ajoutera que les effets de lointain sont parfaitement réglés.

Le Monteverdi Choir est, bien sûr, l’autre artisan de l’éclat de ces Troyens. On n’insistera pas ici sur sa cohésion, sur sa capacité à figurer, quand il le faut, une seule et même grande voix, mais sur son agilité scénique : car ces Troyens sont pourvus d’une mise en espace, réglée par Tess Gibbs, les solistes chantant sans partition, se déplaçant au sein de l’orchestre, et le chœur entrant et sortant avec célérité. 

Il faut voir les choristes, au tout début, surgir des coulisses comme une vraie multitude, ou dégringoler de leurs gradins pour s’installer à l’avant-scène. Et quand ils tournent la tête, d’un seul et même geste, vers Andromaque et Astyanax (une choriste muette, le temps d’une pantomime, et un jeune figurant), on est saisi d’une émotion indicible.

Côté solistes, on atteint davantage l’équilibre à Carthage qu’à Troie. Alice Coote est une Cassandre au timbre assez ingrat, ayant tendance à beaucoup poitriner et à jeter certains mots d’une voix rauque, au lieu de les chanter, ce qui enlève de la noblesse au personnage. Sa robe en lamé doré l’encombre, par ailleurs, plus qu’elle ne l’aide à incarner une devineresse possédée.

Par contraste, Paula Murrihy est une Didon souveraine, au français d’un grand naturel, au phrasé d’une belle élégance. On craint, au début, que cette voix lumineuse soit moins à l’aise dans les scènes violentes du V, mais il suffit à la chanteuse d’assombrir une syllabe, ou d’appuyer un accent, pour exprimer la fureur et le désespoir. La couleur de son mezzo est d’autant mieux venue qu’elle contraste avec celui, très charnu, de Beth Taylor en Anna, ce qui nous vaut un duo du III d’une réelle complicité.

Michael Spyres est techniquement égal à lui-même, mais son Énée a mûri, plus expressif et nuancé qu’avec John Nelson, au Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg (voir O. M. n° 129 p. 73 de juin 2017). Son air d’entrée, que ne prépare aucun récitatif, est impressionnant d’aplomb, et ses grandes scènes avec Didon sont d’une belle chaleur.

Lionel Lhote offre un Chorèbe raide et sans tendresse, qui semble toujours sur la défensive. Adèle Charvet est parfaite d’espièglerie en Ascagne, Alex Rosen, imposant en Spectre d’Hector, et William Thomas, plein de noblesse en Narbal ; ses interventions avec Anna font merveille, car là encore, un jeu de timbres ajoute au relief de la musique.

Confier Iopas et Hylas au même ténor nous prive, par définition, d’une voix et d’une présence, mais Laurence Kilsby, fin musicien, est chez lui en compagnie de la langue française. On goûte, dans son chant, aussi bien le marin nostalgique que le poète bucolique.

CHRISTIAN WASSELIN

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