Artiste pluridisciplinaire, dont la pratique combine composition, vidéo, mise en scène et performance, le Danois Simon Steen-Andersen signe, avec Don Giovanni’s Inferno, une plongée dans les entrailles de l’Opéra de Strasbourg, et quatre siècles de répertoire lyrique. Première le 16 septembre, dans le cadre du Festival Musica.
Comment le projet de Don Giovanni’s Inferno est-il né ?
Initié aux alentours de 2016, ce projet repose sur deux questions qui m’occupent. La première concerne la mise en scène. Habituellement, à l’opéra, la musique et le théâtre apparaissent comme deux entités distinctes, qui parfois fonctionnent ensemble, et parfois non. L’enjeu, pour moi, est d’essayer de les rendre inséparables : que tout, dans la musique, soit aussi théâtre, et que tout ce qui se passe sur le plateau ait des répercussions sur la musique. J’essaie donc de créer des situations, où ces éléments dialoguent. La seconde question vient de ma pratique de l’art in situ : j’aime le parti pris de ne pas construire de décors, de ne pas prétendre être dans un autre endroit que celui où l’on se trouve, mais de faire avec ce que l’on a. Don Giovanni’s Inferno est donc un mélange de ces deux intérêts : jouer avec le répertoire, et mettre en scène dans un lieu spécifique. D’où l’idée de descendre aux Enfers avec Don Giovanni, à la fin de l’opéra de Mozart. Ou peut-être d’entrer dans le cerveau de son interprète, qui s’est cogné la tête, en tombant dans la trappe de scène… Tout ceci est aussi une projection, un cauchemar du chanteur, qui va être confronté à ses plus grandes peurs – comme rencontrer un chef d’orchestre ou un metteur en scène tyranniques.
La pièce possède de nombreuses références à la Divine Comédie de Dante, mais aussi à toute l’histoire de l’opéra…
Je ne pouvais imaginer un livre ayant exercé, dans notre imaginaire collectif, une influence plus profonde sur notre vision de l’infernal que la Divine Comédie. J’y suis venu naturellement avec ce Don Giovanni, qui arrive aux Enfers, situés sous la scène de l’Opéra de Strasbourg, et va en faire le tour, guidé par Polystophélès. Ce dernier est une combinaison de dix-neuf personnages diaboliques (notamment Méphistophélès), trouvés chez Lully, Rameau, Berlioz, Gounod, Rubinstein, Boito… Il possède de multiples facettes, parfois méchant, parfois drôle, mélancolique ou poétique, et s’exprime en passant d’une langue, d’un style, d’un démon à l’autre. Les autres protagonistes recouvrent, quant à eux, un large spectre de héros, qui finissent aux Enfers, ou pourraient s’y trouver : Faust, Scarpia, Orphée et Eurydice, le Hollandais, Francesca da Rimini, Dante… Cette œuvre est une exploration du répertoire lyrique, de 1600 à aujourd’hui : rien de ce que vous allez entendre ne vient directement de mon imagination, tout y est citation. D’une certaine manière, je ne suis pas ici un compositeur, mais un metteur en scène. Seulement, je ne mets pas uniquement en scène ce qui entoure la musique, mais la musique elle-même.
S’agit-il d’un hommage à l’opéra, ou gardez-vous une distance, voire un regard parodique sur le genre ?
Il s’agit à la fois d’un opéra, et d’une œuvre qui examine cet art comme concept ; d’une lecture philosophique et historique, d’une plongée dans notre culture européenne, qui est très marquée par le répertoire lyrique, et s’y reflète. C’est un hommage affectueux, parfois ironique, et qui se moque gentiment du genre. Mais il y a aussi de grands moments, où l’on embrasse les clichés. Je m’intéresse beaucoup aux objets sonores familiers – bruits du quotidien, harmonies galvaudées… J’aime cette expérience d’un élément vu sous un prisme nouveau, que je regarde en me disant : « Je sais de quoi il s’agit, mais je ne l’ai jamais envisagé de cette manière. » Or, le répertoire lyrique semble être une parfaite collection d’objets familiers. On donne encore et encore les mêmes œuvres, mais que se passerait-il, si on les jouait soudain dans un autre contexte ? Si l’on utilisait le plus bel air jamais écrit, celui qui vous donne la chair de poule, pour une scène de torture ? J’aime cette idée que l’on peut, à la fois, avoir des frissons de plaisir et être horrifié.
Vous êtes concepteur, compositeur, metteur en scène et vidéaste de ce projet. Pourquoi vouloir endosser tous ces rôles ?
D’un point de vue pratique, c’est une très mauvaise idée ! Lorsque j’ai commencé à composer dans le passé, j’ai essayé de me concentrer sur le son, et sur l’énergie de sa production. Cela m’a mené vers un travail performatif, peut-être même parfois chorégraphique. J’ai donc tenté de créer une musique qui se répande dans le théâtre et le monde réel, et vice versa. C’est ce qui m’a amené, progressivement, à faire du théâtre musical. J’ai simplement suivi ce chemin. Pour moi, la musique et la scène sont inséparables. La connexion profonde de toutes les composantes fait partie de ma philosophie de création. J’ai fini par être impliqué dans toutes les étapes, parce que je ne les considère pas comme des éléments différents, mais comme une seule entité. O
Propos recueillis par CLAIRE-MARIE CAUSSIN