Opéras Fulgurante Butterfly à Athènes
Opéras

Fulgurante Butterfly à Athènes

11/07/2023
© Andreas Simopoulos

Odéon d’Hérode Atticus, 10 juin

Olivier Py n’ayant jamais abordé l’opéra dans un théâtre antique, on attendait, avec impatience, de découvrir cette nouvelle production de Madama Butterfly, montée par le Greek National Opera (GNO), en ouverture de l’Athens Epidaurus Festival. Et force est de constater que le metteur en scène français s’est remarquablement adapté aux contraintes de l’Odéon d’Hérode Atticus, pour livrer un spectacle formidablement convaincant.

Avec la complicité de Pierre-André Weitz et Bertrand Killy, ses décorateur-costumier et créateur lumière attitrés, Olivier Py a choisi d’inverser le dispositif traditionnel : l’orchestre est installé sur l’estrade d’ordinaire réservée aux chanteurs, et ceux-ci évoluent sur un plateau circulaire incliné vers l’avant, flanqué de six énormes ballons blancs, accrochés à de longs filins, qui occupe l’espace situé juste devant les premières rangées de gradins.

Un système de rampes et d’escaliers permet, à cour et jardin, d’accéder à la galerie construite devant le mur de fond, en surplomb des instrumentistes, par laquelle se font les entrées et les sorties. Le mur, lui-même, est en partie masqué par un échafaudage couvert d’affiches symbolisant l’impérialisme américain (Levi’s, Burger King, McDo, Google, Marlboro…), au premier acte, puis de photos en noir et blanc des destructions d’Hiroshima et Nagasaki, aux deux suivants, enchaînés sans pause.

Comme cela devrait toujours être le cas à l’opéra, les costumes définissent précisément les personnages : Pinkerton, en uniforme blanc d’officier de marine ; Suzuki, en simple robe noire ; Goro, en complet-veston noir à rayures blanches de mafieux ; Sharpless, en redingote sombre et cravate. Au I, Olivier Py et Pierre-André Weitz ont une excellente idée : Butterfly et ses amies se déguisent en Américaines chics, tout droit sorties de The Great Gatsby – l’héroïne, en courte robe de mariée et petit manteau noir ajusté, allant jusqu’à se coiffer d’une perruque blond platine, façon Jean Harlow, que Pinkerton lui enlèvera pendant le duo d’amour.

En dehors d’une chaise, les rares accessoires se réfèrent tous au « rêve américain », illustré notamment par la bannière étoilée, que l’on retrouve sur le chapeau avec lequel s’amusent Pinkerton et Sharpless, comme sur la vieille valise dans laquelle Cio-Cio-San a enfermé ses maigres possessions, pour venir s’installer chez son mari. Le Japon, lui, est présent à travers ces sept danseurs au crâne rasé, entièrement maquillés et vêtus de blanc, qui figurent les Esprits des ancêtres.

Apparaissant à intervalles réguliers (celui du père de Cio-Cio-San vient carrément poser sur la photo de mariage), ils imposent une présence aussi belle qu’inquiétante, particulièrement envoûtante pendant la chorégraphie de Daniel Izzo, accompagnant le « Chœur à bouche fermée ». Autant d’images inoubliables, à l’instar du lâcher des ballons opéré par Suzuki, pendant le duo « des fleurs ». Lorsqu’ils s’élèvent dans le ciel étoilé, le spectateur se sent transporté dans un autre monde, Olivier Py et son équipe confirmant à quel point ils ont compris le parti que l’on pouvait tirer d’un espace en plein air.

Cerise sur le gâteau, le metteur en scène règle une direction d’acteurs d’une précision, d’une sobriété et d’une force fulgurantes. Jamais, par exemple, nous n’avions aussi bien perçu, au I, la concupiscence de l’officier américain en goguette. Quant à la fin de l’opéra, elle laisse le spectateur sous le choc. Cio-Cio-San, ayant endossé un magnifique manteau de cérémonie blanc, reçoit le poignard des mains de l’Esprit de son père. Puis elle noue un bandeau sur les yeux de son fils, vêtu du même uniforme que Pinkerton, et se suicide, dos au public. Le noir se fait pendant que l’époux infidèle, en larmes, serre le cadavre contre lui, tandis que l’enfant erre au hasard sur le plateau. Bouleversant !

À la tête des excellents chœur et orchestre du GNO, Vassilis Christopoulos fait moins d’étincelles, mais sa direction attentive et compétente a le mérite d’épouser le propos du spectacle. La distribution est sans faille, à une exception près : le Pinkerton du ténor italien Andrea Carè, au timbre toujours aussi séduisant, au phrasé toujours aussi caressant, mais à l’aigu plus que jamais limité, tantôt hurlé, tantôt attaqué trop bas.

En Sharpless, le jeune baryton grec Dionysios Sourbis est une révélation : la voix est belle, superbement conduite, et le comédien émeut. Même remarque pour la somptueuse Suzuki de la mezzo russe Alisa Kolosova, comme pour le percutant Goro du ténor grec Yannis Kalyvas.

La soprano coréenne Anna Sohn, enfin, membre de la troupe du Theater Dortmund, où nous l’avions appréciée dans Frédégonde, la saison dernière, campe une Butterfly de haut vol. L’instrument est souple, homogène, lumineux dans l’aigu, avec des ressources de puissance appréciables dans le vaste Odéon d’Hérode Atticus. L’actrice n’est pas en reste, transfigurée par Olivier Py, même si une blessure au mollet, survenue pendant la troisième représentation, l’empêche, ce soir, d’exécuter l’intégralité de la mise en scène.

Un spectacle enthousiasmant qui, un mois après Henry VIII de Saint-Saëns, à la Monnaie de Bruxelles (voir O. M. n° 194 p. 66 de juillet-août 2023), confirme, dans une démarche complètement différente, le remarquable talent d’Olivier Py et Pierre-André Weitz. Et, ne l’oublions pas, le niveau de qualité atteint par le Greek National Opera, sous la direction artistique de Giorgos Koumendakis.

Richard Martet


© Andreas Simopoulos

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