La Grange au Lac, 29 juin
Pour fêter le 30e anniversaire de l’inauguration de la Grange au Lac, splendide auditorium construit sur les hauteurs de la ville, au milieu d’un parc, les « Rencontres Musicales » d’Évian ont mis les petits plats dans les grands : Zubin Mehta et les Berliner Philharmoniker, en ouverture (28 juin), et, dès le lendemain, un concert de Bryn Terfel, accompagné par le Chamber Orchestra of Europe.
Le format choisi, assez inhabituel, ne prévoit la présence du chanteur qu’en première partie, la seconde étant entièrement dédiée à la Symphonie n° 8 de Dvorak. Cela n’empêche pas le baryton-basse britannique de se tailler un extraordinaire succès personnel, on ne peut plus mérité au regard de sa performance.
Quatre airs et deux bis, c’est certes un peu maigre, et l’on sent que Bryn Terfel n’aurait pas demandé mieux que de continuer son show après l’entracte. Mais quels airs ! Et quels bis ! « Ha, welch ein Augenblick ! » (Fidelio) le montre, d’emblée, parfaitement maître de cette fusion entre chant et mouvements du visage, qui constitue l’une de ses marques de fabrique. Son Don Pizarro fait peur, mais sans aucun histrionisme. Bien au contraire, la ligne est constamment surveillée, pour un résultat d’ensemble vraiment impressionnant.
Le contraste avec l’intériorité et l’émotion de l’air de concert K. 621a de Mozart (« Io ti lascio, o cara, addio ») n’en est que plus saisissant, comme avec celles de la « Romance à l’étoile » (Tannhäuser). À 57 ans, le timbre n’a plus la richesse d’autrefois, et l’interprète doit recourir à de discrets expédients pour soutenir le legato. L’art n’en demeure pas moins souverain.Le monologue de Fastaff (« L’onore ! Ladri ! ») conclut en majesté, avec un abattage vocal et scénique ébouriffant. Un oreiller glissé sous sa chemise de concert, Bryn Terfel incarne un « pancione » plus « hénaurme » que nature, aux frontières du cabotinage parfois, mais tellement bien « dit » et pensé que l’on succombe.
En bis, un irrésistible « If I Were a Rich Man » (Fiddler on the Roof) et une nostalgique chanson folklorique galloise confirment le talent de l’un des chanteurs les plus doués de ces cinquante dernières années, auréolé d’une gloire planétaire depuis qu’il a participé à la cérémonie du couronnement du roi Charles III, le 6 mai dernier, à l’abbaye de Westminster, devant des centaines de millions de téléspectateurs.
Reste une difficulté : l’équilibre entre la voix et l’orchestre qui, plus d’une fois, tend à la couvrir complètement. La direction de Robin Ticciati, toute dans l’énergie et l’exacerbation des contrastes, y est, certainement, pour quelque chose. Mais n’y-a-t-il pas, également, un problème acoustique ?
Le plateau de la Grange au Lac ayant été récemment agrandi, cette édition 2023 des « Rencontres Musicales » était l’occasion de tester, in vivo, la nouvelle acoustique. De toute évidence, des ajustements sont encore nécessaires, pour éviter que des orchestres de plus de cinquante musiciens ne saturent dans les tutti et ne sonnent trop brillants, voire clinquants. Dès que les cors et les trombones de l’excellentissime Chamber Orchestra of Europe se mettent à jouer, on n’entend qu’eux !
Sensation confirmée, le lendemain (30 juin), par le concert, entièrement consacré à Mozart, de l’Orchestre de Chambre de Lausanne et Renaud Capuçon, son directeur musical – et directeur artistique des « Rencontres Musicales ». Avec trente-quatre instrumentistes, le rendu sonore est absolument idéal, témoignant de l’exemplaire réussite de ce lieu en tous points enchanteur.
Richard Martet