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Interview

Clelia Cafiero, diriger Carmen face au mur d’Orange

03/07/2023
© Cyril Cosson

Pianiste d’orchestre à la Scala de Milan jusqu’en 2019, la jeune Italienne a fait, depuis, ses premières armes, remarquées, de cheffe lyrique. Le chef-d’œuvre de Bizet, mis en scène par Jean-Louis Grinda, qui adapte sa production bien connue aux dimensions du Théâtre Antique, marque ses débuts, le 8 juillet, aux Chorégies, avec Marie-Nicole Lemieux dans le rôle-titre.

Que souhaitez-vous en mettre en lumière dans Carmen ?

Il s’agit d’une œuvre universelle, conçue par Bizet comme un véritable traité d’orchestration. Je me réfère cependant, avant tout, au texte du livret, la protagoniste dévoilant son caractère dès ses premiers mots. Elle captive son auditoire sur des lignes mélodiques aux innombrables nuances, pareilles à des ondes sur l’eau. L’orchestre transfigure ainsi l’âme de Carmen, en restituant les plus subtiles variations des battements de son cœur, dans un fascinant voyage musical. Ce motif de l’amour, qui constitue l’énergie de l’opéra, se décline en plusieurs facettes, notamment dans le trio « des cartes ». Je désire mettre en lumière les figures centrales de Carmen et de Don José. La cigarière se révèle telle qu’elle est naturellement dans la « Habanera », chantée imperturbablement sur un même rythme, l’orchestre jouant très peu et la ligne vocale montrant un côté primitif. Ce personnage de feu, épris de liberté, change sans cesse, tout en transformant les autres. C’est ainsi que Don José, soldat tendre et naïf, devient l’esclave de ses charmes, lançant un cri d’amour, dès « La fleur que tu m’avais jetée », un air qui porte en lui toute la liberté du bel canto et nous conduit, dans la ligne musicale, à l’opposé de la scène finale, où il tue Carmen. Je souhaite rendre compte de tout ce jeu de métamorphoses et de forts contrastes.

Quels conseils donnez-vous aux chanteurs et aux musiciens pour interpréter un tel ouvrage ?

Je viens de l’école italienne, où l’on chante en parlant ! C’est pourquoi il me semble essentiel de dire le texte, avant de le mettre en chant, afin de devenir le personnage dans la façon de moduler chaque mot. J’attache, également, beaucoup d’importance à la psychologie des différents rôles, qui influe sur le mouvement harmonique de la musique, tout en apportant un soutien sur scène. Une production d’opéra reposant sur l’échange, je demande à l’orchestre de servir le chant, en veillant aux dynamiques et à la flexibilité du son.

Que ressentez-vous à l’idée de diriger, pour la première fois, au Théâtre Antique d’Orange ?

C’est un lieu comparable aux Arènes de Vérone, où l’on a le sentiment d’entrer dans un temple imposant le respect, et permettant à l’art de pénétrer, à ciel ouvert, dans le mystère de la beauté. Je suis impatiente de le découvrir, persuadée que l’acoustique naturelle, même si elle est différente de celle d’une salle couverte, saura réserver de belles surprises !


Carmen, dans la mise en scène de Jean-Louis Grinda, à Marseille. © Christian Dresse

De quelle manière travaillez-vous avec Jean-Louis Grinda, le metteur en scène ?

Le travail de Jean-Louis repose sur une vraie complicité entre la mise en scène et la direction musicale, ce qui est une chance. Nous pouvons ainsi chercher, ensemble, des solutions aux déplacements ou à la psychologie d’un personnage. À l’Opéra de Marseille, où nous avons déjà collaboré sur Carmen, en février dernier, l’organisation du plateau était très précise, mais nous allons devoir trouver de nouvelles choses, à Orange. La reproduction d’un spectacle à l’identique étant impossible d’un lieu à l’autre, il est essentiel de le repenser afin d’atteindre, à nouveau, cette magie entre la fosse et l’espace scénique.

En quoi votre itinéraire de pianiste nourrit-il votre carrière de cheffe d’orchestre ?

Je me suis produite, dès l’âge de 20 ans, comme soliste, avant d’être recrutée, suite à un concours, en 2013, en tant que pianiste d’orchestre à la Scala de Milan, poste que j’ai occupé jusqu’en 2019. Cette expérience m’a ouvert le monde de l’opéra, que j’ai pu découvrir de l’intérieur, en travaillant avec des chanteurs et en rencontrant de grandes figures de la direction, comme Daniel Barenboim et Antonio Pappano, dont j’ai été l’assistante sur une production de Manon Lescaut, au Covent Garden de Londres. C’est ainsi que je suis devenue cheffe d’orchestre… Mais je donne toujours des concerts de piano, ce qui me recharge en énergies positives !

Vous allez diriger, au printemps 2024, pour Angers Nantes Opéra, votre première Tosca, dont l’héroïne partage avec Carmen un fort tempérament…

Tosca est mon premier amour lyrique, et je me suis immédiatement identifiée à son héroïne, à travers sa passion dévorante pour l’art, exprimée dans « Vissi d’arte ». Ces deux femmes partagent, malgré leurs différences, une même volonté les incitant à obtenir ce qu’elles désirent, même si la fin est tragique, pour l’une comme pour l’autre.

Quel idéal cherchez-vous à atteindre, en tant que musicienne ?

Dans mon parcours de cheffe d’orchestre, j’aime me montrer à l’écoute de ce que les musiciens me proposent, en m’efforçant de les rendre meilleurs. La plus belle chose n’est-elle pas de transmettre, par l’art qui nous anime, le ­bonheur de jouer ?

Propos recueillis par CHRISTOPHE GERVOT

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