Opéras Ovations pour Les Huguenots à Marseille
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Ovations pour Les Huguenots à Marseille

09/06/2023
© Christian Dresse

Opéra, 3 juin

Injouable « grand opéra », Les Huguenots (Paris, 1836)? Après un long purgatoire, le défi est régulièrement relevé, depuis quelques années, avec des bonheurs différents ; chaque distribution apporte son lot de confirmations, de révélations, de réserves, chaque mise en scène suscitant enthousiasme, sarcasmes ou résignation.

À l’Opéra de Marseille, le chef-d’œuvre de Meyerbeer n’avait plus été présenté depuis 1967, avec Tony Poncet en Raoul. Pour quatre représentations, la nouvelle production maison est une franche réussite. À la tête d’un Orchestre et d’un Chœur survoltés, José Miguel Pérez-Sierra maintient durant cinq heures l’impulsion dramatique, de la mystérieuse Ouverture au déchaînement furieux du final. L’originalité des inventions instrumentales est mise en valeur, sans nuire à la continuité. La battue, sobre et précise, du chef espagnol assure la parfaite cohésion entre la fosse et le plateau, les solistes et les chœurs.

Préparés par Emmanuel Trenque, ces derniers doivent chanter quatre-vingt-dix minutes dans l’extrême difficulté (double chœur, changements incessants des tempi) ; les pupitres des ténors et des basses, très sollicités, sont protagonistes de l’action. Les scènes d’ensemble, où le fanatisme furieux se donne libre cours, mais aussi le pittoresque des réjouissances populaires, comme la grâce des tableaux de cour, témoignent d’une implication constante.

C’est donc au chef, à l’orchestre et aux chœurs que l’on doit la couleur, la variété, le mouvement d’une exécution foisonnante. Qu’on ne compte pas trop sur la mise en scène, ni sur le « décor » anthracite. Les qualités négatives, après tout, protègent du pire. La direction d’acteurs évite la confusion. Accessoires sempiternels, tables et chaises deviennent armes par destination, table des agapes, autel des sacrifices. Au moins les habituelles incongruités, incohérences et salacités nous sont-elles épargnées. Quant aux costumes, ils ne mêlent pas le smoking et la fraise du décrochez-moi-ça ordinaire.

Tant Louis Désiré que Diego Mendez Casariego adoptent un parti de neutralité temporelle. Fallait-il allier cette discrétion à l’unité de lieu, selon les préceptes de la tragédie classique ? Cette option convient-elle au drame historique (La Reine Margot), à l’esthétique argumentée par la Préface de Cromwell ? Neuf ans avant l’œuvre de Meyerbeer, Victor Hugo n’écrit-il pas : « Le lieu où telle catastrophe s’est passée en devient un témoin terrible et inséparable » ?

On regrette, surtout, l’absence de couleurs pour l’acte II, situé dans le « beau pays de la Touraine ». Les jardins du château de Chenonceau se réduisent, dans l’arrière-scène, à trois poufs d’un vert acide, égarés parmi la grisaille ambiante. Aucun contraste n’oppose le Pré-aux-Clercs, au III, les murs du palais des Nevers, au IV, l’hôtel de Nesle, le cimetière et sa chapelle huguenote, au V.

L’essentiel tient dans une distribution de première grandeur. Depuis les représentations de la Monnaie de Bruxelles, en juin 2022 (voir O. M. n° 185 p. 63 de septembre), on sait que Karine Deshayes a eu raison de passer d’Urbain à Valentine, la production marseillaise validant cette orientation. La noblesse du port, la longueur du souffle, le velouté du timbre, l’insolence des aigus repoussent les limites des classifications vocales. À la différence de tant de mezzos devenues sopranos, la couleur du registre grave ne souffre pas de la reconversion. Au IV, sa « Romance » et son grand duo avec Raoul subjuguent le public.

Eléonore Pancrazi, qui lui succède en Urbain, remporte un triomphe par la qualité de sa voix, homogène sur la totalité d’une étendue hors du commun (l’emploi de soprano est ici associé aux graves profonds que Marietta Alboni exigea du compositeur, pour le « Rondeau » additionnel du II). Du sol grave au contre-ut, la leçon de chant soutient une présence scénique enjouée. Le grand art.

La soprano roumaine Florina Ilie impose la séduction de Marguerite de Valois. Son apparition, dans une élégante robe bouton d’or, offre un moment réjouissant pour le regard. Sa voix claire et fruitée, son aisance dans la vocalisation de l’aigu, sa projection charment, et l’on comprend parfaitement son français.

Le rôle redoutable de Raoul n’éprouve pas Enea Scala : sa formation belcantiste et la sûreté de son suraigu en viennent à bout, avec une diction qui ne nécessiterait aucun surtitrage. Les nasales (« on », « an », « in ») sonnent très italien, mais ne nuisent pas. Il ose et accomplit l’« Appel aux armes » du V, mais peut-être souhaiterait-on un engagement élégiaque plus vibrant dans le duo avec Valentine.

Marc Barrard restitue la dualité de Nevers, chef de parti et grand séducteur, par un chant noble et une déclamation impeccable. François Lis incarne, avec dignité, la noirceur de Saint-Bris. Vieux serviteur de Raoul, ancien soldat, Marcel se trouve étrangement revêtu d’une pourpre cardinalice assez inattendue, pour entonner le « Choral ». Peut-être a-t-on voulu symboliser le sang qui va couler de toutes parts ? Nicolas Courjal possède l’extrême grave du rôle et délivre un contre-mi impressionnant. Sous le même déguisement ecclésiastique, au III, il assène des « Rataplan » réjouissants.

Seigneurs, conjurés, bretteurs, assassins, victimes réclament la fine fleur du chant français. Ils bénéficient, notamment, du concours des ténors Alfred Bironien et Kaëlig Boché, des barytons Frédéric Cornille et Jean-Marie Delpas, de la basse Thomas Dear, tous sonores et convaincants.

Une ovation debout prolonge la nuit très entamée.

Patrice Henriot


© Christian Dresse

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