Staatsoper Unter den Linden, 3 juin
L’intérêt de cette reprise – la deuxième seulement, en dix ans – ne réside certes pas dans la production de Philipp Stölzl, entrée au répertoire du Staatsoper de Berlin, en 2013, et dont Éric Pousaz avait très exactement écrit, au sujet de sa création bâloise, quatre ans plus tôt, le bien, mais aussi le mal, qu’il fallait en penser (voir O. M. n° 38 p. 44 de mars 2009). À ceci près que l’implication de la nouvelle distribution nous évite « l’impression de gêne croissante » ressentie « à la vue de ce mélo sanguinolent », faisant finalement pencher la balance en faveur de la mise en scène.
Nouvelle, la distribution l’est d’ailleurs doublement, puisque tous ces messieurs effectuent des prises de rôles. Passons sur Jan Martinik, membre de la troupe (Ensemble), sans doute excellent dans les seconds couteaux, mais que Daland dépasse de façon flagrante, de bout en bout. Magnus Dietrich, qui fait partie de l’Opéra Studio (Internationales Opernstudio), retient, en revanche, d’emblée l’attention. Son Pilote fièrement projeté devrait, en effet, le mener bien plus loin que Tamino, dont il est à présent l’un des principaux titulaires dans la maison.
Avec Erik, Stanislas de Barbeyrac gravit une première marche vers la catégorie des ténors héroïques wagnériens – comme un coup d’essai, avant de se mesurer à Siegmund (Die Walküre), en concert, dès la saison prochaine. Et il y fait, éperdu et vibrant, timbre d’acier trempé plus que de bronze, une entrée fracassante, conduisant le récit du rêve avec une urgence irrépressible, qui habite aussi le phrasé de sa cavatine, moins belcantiste, dès lors, que fébrile. La tessiture, cependant, le crispe, et l’aigu, depuis toujours problématique, tend à s’ériger devant lui en obstacle infranchissable.
Après Hans Sachs (Die Meistersinger von Nürnberg), d’abord dans l’intimité de Glyndebourne, Wolfram (Tannhäuser), fort peu, et Amfortas (Parsifal), l’heure du Hollandais a sonné pour Gerald Finley. Plus baryton que basse, moins par l’ambitus que la texture et la couleur – ce velours noir –, il s’impose en immense artiste. Sans la démesure hallucinée de grand tuyau d’orgue de certains interprètes de légende, ni leur métal cinglant, mais sondant, à travers un chant d’une humanité suprêmement ciselée, les tréfonds de cette âme en quête de rédemption.
Du côté des dames, Marina Prudenskaya est assez impayable en duègne à badine, tout en prouvant que qui peut le plus – Brangäne (Tristan und Isolde), Venus (Tannhäuser), Fricka (Der Ring des Nibelungen), Kundry (Parsifal), bientôt Ortrud (Lohengrin) – ne se distingue pas nécessairement dans le moins. Vida Mikneviciute, enfin, s’inscrit, par le tranchant d’un soprano dont le vibrato s’affole sur les hauteurs – qu’elle n’atteint d’ailleurs pas toujours sans heurt, conséquence d’une technique peu orthodoxe – et une présence aussi concentrée que prenante, dans la lignée, longue et prestigieuse, des Senta torches vives.
Rare incursion de Matthias Pintscher dans la fosse ; en pleine pandémie, Lohengrin aura donc mené le chef et compositeur allemand à Der fliegende Holländer, ce qui ne va pas nécessairement de soi. À rebours des stéréotypes associés aux spécialistes de musique contemporaine, il imprime à la Staatskapelle de Berlin une fougue très classiquement romantique. L’orchestre traduit d’abord cet élan par une indiscipline patente, peu soigneux dans l’exécution et épais – plutôt que dense – de son, voire même bruyant, avant de redresser progressivement la barre, jusqu’au terme, haletant, de cette version jouée d’une seule traite.
Mehdi Mahdavi