Opéras Exemplaire Wozzeck à Londres
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Exemplaire Wozzeck à Londres

09/06/2023
© Tristram Kenton

Royal Opera House, Covent Garden, 25 mai

Pour le Covent Garden, coproducteur de son remarquable Peter Grimes, étrenné au Teatro Real de Madrid, en avril 2021, et récemment présenté au Palais Garnier (voir O. M. n° 190 p. 62 de mars 2023), confier Wozzeck à Deborah Warner allait, pour ainsi dire, de soi. À deux décennies d’intervalle, Britten créait, en effet, dans son propre langage, une des plus belles réponses possibles au premier opéra de Berg.

Deux destins d’antihéros, marginaux inadaptés à la société qui les entoure, et qui, en retour, broie, en le niant, ce qu’il y a, peut-être, de plus humain en eux. Et c’est un semblable sentiment d’ambivalence qu’inspire la culpabilité supposée du pêcheur, avérée du soldat, avant qu’ils ne choisissent de disparaître dans les flots.

Pas plus dans le premier que dans le second de ces piliers du théâtre lyrique du siècle dernier, Deborah Warner n’applique de concept, non plus que de recette. Mais si l’équipe réunie autour d’elle diffère de celle de Peter Grimes, une certaine signature esthétique demeure.

L’époque des costumes de Nicky Gillibrand est bel et bien la nôtre, tandis que le décor d’Hyemi Shin – avec ses changements quasiment à vue, derrière une toile blanche, plus petite que le cadre de scène, sur laquelle se projettent les ombres des personnages – mêle l’hyperréalisme, à l’avant-plan, à l’abstraction poétique de sept arbres nus, en suspension, sur fond de grandes peintures atmosphériques, auxquelles les lumières d’Adam Silverman confèrent un relief inquiétant, et pas seulement quand apparaît, démesurée, une lune rouge sang.

Depuis les sanitaires de la caserne, où frappe d’emblée l’opposition entre les corps musculeux de militaires à demi-nus et la posture voûtée de Wozzeck, dans sa combinaison de technicien de surface, mais aussi le physique de gringalet du Capitaine, jusqu’au vide qui se fait autour de l’Enfant, resté seul, les baskets de sa mère entre les mains, devant une paroi de tôle rouillée, sur laquelle est taguée l’inscription « Du ! Dein Mutter is tot ! », la direction d’acteurs va à l’os, pour atteindre la vérité du cinéma avec, toujours, les seuls moyens du théâtre.

Spectacle exemplaire, en somme, même s’il n’atteint pas l’exceptionnel degré d’émotion de Peter Grimes, car d’une fidélité absolue, mais pas servile, tant aux indications détaillées de Berg – qui indique que la « concordance totale et inconditionnelle entre le drame et la partition n’empêchera ni le metteur en scène, ni le décorateur d’exercer leur art avec une large indépendance » –, qu’à ses intentions profondes.

Antonio Pappano, qui n’était plus revenu à la partition depuis les premiers mois de son mandat au Covent Garden, en 2002, suit, lui aussi, les recommandations du compositeur, pour qui la forme et la structure devaient s’effacer derrière « l’Idée ». L’orchestre maison déploie, comme toujours sous la baguette de son directeur musical, une palette flamboyante, que le geste épris d’urgence dramatique du chef britannique tire vers un postromantisme électrisant, sans appesantir l’écriture, ni en émousser le tranchant. Bien au contraire.

Faut-il voir un paradoxe, ou plutôt une volonté d’aiguiser les angles de la tragédie, dans le fait que le plateau vocal tende davantage vers le « Sprache » que le « Gesang » ? D’un cuivre glorieusement projeté, le Tambour-Major de Clay Hilley y fait, dès lors, figure d’exception. Car c’est par leur présence que s’imposent Peter Hoare et Brindley Sherratt, le premier dessinant par ses aigus en falsetto un Capitaine sournois, quand l’usure charbonneuse de la basse du second n’entame pas un instant l’autorité malsaine du Docteur.

Il y a, dans l’apparition du Fou de John Findon, comme dans son timbre, quelque chose de fantomatique qui retient l’attention, à l’inverse d’Andres et de Margret, réduits à d’oubliables silhouettes par Sam Furness et Rosie Aldridge.

Sans doute Anja Kampe n’affiche-t-elle pas la même fraîcheur, pour le moins inespérée, qu’en Brünnhilde du Ring, à l’automne, au Staatsoper de Berlin (voir O. M. n° 188 p. 41 de décembre 2022). Mais la chair retrouvée de l’instrument, quelques accrocs dans le haut de la tessiture mis à part, confère à sa Marie une intensité qu’elle ne parvenait pas à maintenir, la saison dernière, au Staatsoper de Vienne.

Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, Christian Gerhaher, déjà son partenaire alors, creuse dans les infinies nuances de gris de son baryton les angoisses et les blessures de Wozzeck, qu’il habite, une nouvelle fois, de toutes les fibres de son être.

MEHDI MAHDAVI


© Tristram Kenton

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