Opéras Nancy ose Manru
Opéras

Nancy ose Manru

09/06/2023
© Jean-Louis Fernandez

Opéra National de Lorraine, 9 mai

Directrice musicale de l’Opéra National de Lorraine depuis janvier 2021, la jeune cheffe polonaise Marta Gardolinska nous raconte, dans l’entretien publié dans le programme de salle, avoir découvert Manru d’Ignacy Jan Paderewski  (1860-1941), lors d’une représentation à Varsovie, et être immédiatement « tombée amoureuse » de l’ouvrage, ce que l’on comprend tout à fait. Créé à Dresde, en 1901, en langue allemande, Manru dégage effectivement un charme particulier, et on y trouve assurément beaucoup de raisons d’avoir envie d’y revenir.

Paderewski était, avant tout, l’un des pianistes virtuoses les plus en vue de son temps, mais aussi un compositeur d’envergure. Même si Manru n’est pas un ouvrage parfait, il déborde de lyrisme et de trouvailles mélodiques, dans un style post-wagnérien relativement original. Le problème est que Paderewski y a presque trop investi, comme s’il pressentait écrire là son unique opéra, d’où une relative surcharge, impression encore accentuée par un livret trop bavard et statique.

Mais peu importe, car, au fil des pages, un charme entêtant s’installe, nourri de sentiments exacerbés et de grands épanchements lyriques. Avec, de surcroît, une magnifique progression, d’un acte I d’exposition parfois un peu ennuyeux, à un splendide duo wagnérien, au II (avec même un philtre d’amour, pour faire décoller le tout), et enfin un enivrant acte III, culminant sur un chœur mélancolique, ponctué de cymbalum et d’inflexions langoureuses de violon tzigane, à fondre sur place.

Le livret d’Alfred Nossig fleure bon sa fin de siècle, avec un peu de naturalisme français, un peu de vérisme italien, l’influence évidente de la Carmen de Bizet, aussi… L’ensemble reste assez bien ficelé, bien que trop long. On y trouve, en tout cas, des personnages forts, confrontés à des conflits insolubles.

Le mariage entre le tzigane Manru et la paysanne Ulana conduit au rejet des deux par leur communauté respective : montagnards des Tatras, d’un côté, et groupe rom nomade, de l’autre. Loin du village, dans une cabane isolée, le couple se retrouve confronté à des conditions d’existence trop précaires, pour que leur amour puisse y survivre : Manru préfère, finalement, abandonner femme et enfant pour rejoindre les siens. Dénouement tragique (suicide d’Ulana, puis meurtre de Manru), vengeance, là aussi, bien dans l’air du temps.

Paderewski orchestre très joliment, avec des merveilleuses idées mélodiques, mais reste, sur ce plan, davantage linéaire que d’une véritable efficacité dramatique.Marta Gardolinska s’engage, en tout cas, beaucoup, pour donner le maximum de relief à un Orchestre de l’Opéra National de Lorraine qui semble, cependant, un peu faible numériquement, manquant parfois de densité. Le résultat paraît bien adapté au volume de la salle, mais on le souhaiterait plus expansif, du moins aux moments où les voix ne risquent pas trop d’être couvertes. Des voix, au demeurant, d’un beau format.

En Ulana, on n’attendait pas forcément autant de puissance de la part de la soprano britannique Gemma Summerfield, Fiordiligi dans Cosi fan tutte, à Strasbourg, l’an dernier, ni de son contrepoids côté tzigane, l’Asa de la mezzo française Lucie Peyramaure, dont le timbre envoûtant n’est pas moins conséquent. Dans le rôle très lourd de Manru, d’un vrai format wagnérien, le ténor belge Thomas Blondelle réussit à bien dissimuler une relative fragilité du registre aigu, et le baryton hongrois Gyula Nagy compose un intéressant Urok, oscillant continuellement entre sérieux et parodie.

Mise en scène prudente de Katharina Kastening, en coproduction avec l’Opéra de Halle (Bühnen Halle), le sujet constituant un courageux plaidoyer contre l’intolérance, mais restant à manier avec précaution. Les costumes de Gideon Davey tentent de marquer certaines différences entre les deux communautés, sans se risquer à trop de clichés, et son décor tout simple, sol de terre battue et parois vitrées semi-transparentes, se borne à limiter les espaces de jeu, le réalisme de la cabane de Manru n’étant pas éludé, avec son évier, sa cuisinière et son mobilier de fortune… Et aussi, sur les murs extérieurs, quelques tags xénophobes d’une triste actualité !

Laurent Barthel


© Jean-Louis Fernandez

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