Opéras Roméo réussi à Zurich
Opéras

Roméo réussi à Zurich

19/05/2023
© Herwig Prammer

Opernhaus, 28 avril

Ils sont beaux, et ils ont le même âge. Ils chantent dans leur langue maternelle, ce qui les rend plus crédibles. Et, pour ne rien gâcher, ils ont le statut de stars, soutenus chacun par une multinationale du disque et des sponsors importants.

Si la rencontre de Benjamin Bernheim et Julie Fuchs, dans Roméo et Juliette, s’était faite sous les projecteurs glamour du Festival de Salzbourg, on n’aurait pas été loin de retrouver la folie médiatique et populaire qui avait accompagné la mythique union d’Anna Netrebko et Rolando Villazon, dans La traviata, en 2005 (en CD et DVD chez Deutsche Grammophon). Mais nous sommes dans la discrétion cossue et l’acoustique amie de l’Opernhaus de Zurich, une maison que les deux chanteurs français connaissent bien pour y avoir été attachés, lui comme membre de l’IOS (International Opera Studio), et elle dans la troupe. La salle est enthousiaste, mais sans excès.

Benjamin Bernheim a abordé Roméo, en janvier dernier, en concert, à Montreux, puis Genève. Restitution parfaitement claire du texte, intonation sans faille, expressivité sobre mais efficace, fluidité des phrasés, élégance et générosité, on ne peut rêver mieux aujourd’hui. Même la légère gaucherie qu’il confère au personnage est émouvante. « Ah ! lève-toi, soleil » est le moment de grâce attendu, et chacun des duos frise le sublime.

Pour Julie Fuchs, en revanche, Juliette est une prise de rôle. Si sa première intervention semble hésitante, très vite, « Je veux vivre » libère l’interprète, qui triomphe ensuite brillamment de tous les pièges et apporte, elle aussi, l’intensité dramatique attendue. Seule réserve : l’articulation est sacrifiée, au point que le recours aux surtitres se révèle nécessaire.

Un grief que l’on peut adresser aussi, et plus encore, aux autres chanteurs – venus d’Ukraine, de Bulgarie, de Bosnie, du Royaume-Uni ou des États-Unis –, exception faite de la Gertrude limpide de Katia Ledoux. En effet, il n’y a aucun souci de rendre les mots compréhensibles chez le Mercutio de Yuriy Hadzetskyy, le Stéphano de Svetlina Stoyanova, le Tybalt d’Omer Kobiljak, par ailleurs excellents, ni chez le solide Frère Laurent de Brent Michael Smith et le Comte Capulet un peu fatigué de David Soar.

La direction de Roberto Forés Veses, à la tête de l’orchestre Philharmonia Zürich, est énergique, enthousiaste, souvent poignante, fût-ce au prix de quelques lourdeurs – la « Valse » de l’acte I, notamment.

La réussite de la soirée tient, également, à la capacité de Ted Huffman à aller droit à l’essentiel, tant dans l’extrême simplicité du dispositif scénique que dans certaines coupures : les divertissements du IV passent à la trappe, tout comme l’entracte et la brève scène d’introduction, au V. Toute l’action se déroule dans un espace clos par trois murs droits, qui perd progressivement de sa profondeur, jusqu’à ne plus laisser que la rampe aux amants, pour leurs derniers soupirs.

Pas de balcon, ni de tombeau, et pas d’autres accessoires qu’une vingtaine de chaises en bois, alignées face à face, pour le cotillon du bal, mais aussi pour dire la rivalité des Capulets et des Montaigus. Tous les personnages sont en tenues de soirée – millésimées années 1950. Les comportements du père de Juliette et de Tybalt disent, en quelques détails, comment le patriarcat domine chez les Capulets mais, même stylisée comme ici – sans épées, à mains nues et, finalement, avec une seule dague –, la bagarre entre les deux clans rappelle que la masculinité toxique est également répartie.

Ce qui n’empêche pas Roméo et Juliette d’avoir la grâce et le temps d’être vraiment amants, comme le laissent entendre, sans le moindre doute, leurs tenues et leurs gestes, quand on les découvre dans la chambre de Juliette.

NICOLAS BLANMONT


© Herwig Prammer

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