Teatro di San Carlo, 26 avril
La première production wagnérienne affichée par Stéphane Lissner, le directeur général et artistique du San Carlo, est une reprise. Mais le spectacle, déjà revenu à Naples, en 2019, est de ceux qui avaient marqué l’histoire de la maison, lors de sa création, en 2005. Une Walkyrie qui, tout en restant assez loin du « Regietheater », avait pu sembler audacieuse, voire révolutionnaire, dans un contexte théâtral italien encore très habitué à un naturalisme au premier degré.
Toute l’action se déroule autour d’un grand cube, fait de fines tubulures métalliques, conçu par le plasticien Giulio Paolini. Il enserre un frêne stylisé, à l’acte I, se charge de quelques rochers, au II, puis de morceaux de statues (les corps des guerriers morts), au III. À la fois sobre et apaisant, ce décor laisse s’épanouir les belles lumières de Gianni Pollini, ne disparaissant que pendant la fuite de Siegmund et Sieglinde, quand un mince rideau orné de planètes tombe à l’avant-plan.
Si Federico Tiezzi explique avoir nourri sa mise en scène des lectures de Sigmund Freud et Thomas Mann (Les Buddenbrook), les costumes de Giovanna Buzzi oscillent entre le médiéval et le XIXe siècle, avec quand même des Walkyries en armures et casques – mais sans les ailettes.
Le résultat ne manque pas de vertus – sens de la lenteur, voire de l’immobilité, construction des tableaux –, fût-ce parfois au prix d’une recherche appliquée de l’harmonie et de la symétrie. Mais, comme souvent dans les reprises, la direction d’acteurs reste succincte : les attitudes semblent un peu raides, et seule la spontanéité de quelques chanteurs vient troubler un certain académisme. Ainsi, l’étreinte intense et appuyée entre Wotan et Brünnhilde, lors des fameux « Adieux », émeut d’autant plus qu’on ne l’attend pas aussi franche.
Directeur musical du San Carlo depuis le début de cette saison, le chef israélien Dan Ettinger livre une lecture efficace, avec ce qu’il faut d’expressivité, mais les cuivres de l’orchestre maison ne sont pas exempts d’accrocs.
Dans la distribution, on retrouve, avec joie, le Siegmund expert de Jonas Kaufmann, qui n’avait plus chanté le rôle, en version scénique, depuis le Festival de Munich, en juillet 2018. La salle frémit quand le ténor allemand prolonge, avec insistance, les appels à Notung, avant d’aller saisir l’épée. D’abord un peu trop effacée, la Sieglinde de la soprano lituanienne Vida Mikneviciute gagne en ampleur, tout au long de la soirée, avec, notamment, un superbe troisième acte.
La basse canadienne John Relyea campe un Hunding monolithique et sans surprise, mais efficace. La mezzo franco-arménienne Varduhi Abrahamyan réussit à imposer une Fricka brillante et expressive, au prix de très légères approximations dans l’intonation.
Il y a de la rigueur et de la tenue chez le Wotan de Christopher Maltman, mais aussi une sorte de prudence, de rodage même. Le baryton britannique se prépare, sans nul doute, pour le nouveau Ring du Covent Garden de Londres, qui commencera dès la saison prochaine, avec Das Rheingold.
Reste, et ce n’est pas la moins impressionnante, Okka von der Damerau. Après avoir marqué les mémoires en Waltraute (Götterdämmerung), Ortrud (Lohengrin) ou Brangäne (Tristan und Isolde), la cantatrice allemande prouve d’éclatante façon qu’elle peut, également, s’imposer en Brünnhilde – et, sans doute, très vite, en Isolde.
NICOLAS BLANMONT