Opéras Exceptionnelle Lady Macbeth à Genève
Opéras

Exceptionnelle Lady Macbeth à Genève

19/05/2023
© Magali Dougados

Grand Théâtre, 4 mai

Un spectacle gagne parfois à être revu. C’est le cas avec cette Lady Macbeth de Mtsensk, mise en scène par Calixto Bieito, qui tire sa force du décor de Rebecca Ringst, froid, gris, boueux, véritable carcan où bouillonne la tragédie, magnifiée par des acteurs sous tension permanente.

À l’Opera Vlaanderen, en mars 2014 (voir O. M. n° 95 p. 38 de mai), Ausrine Stundyte stupéfiait déjà par son incarnation. Elle a, depuis, chanté Katerina dans d’autres productions, y laissant sa fascinante empreinte. En une décennie, elle a gagné en maturité, en intensité, en douleur. La voix contient chacune des inflexions du rôle : enjôleuse, lyrique, douce, puissante, cassante, blessée…

D’un registre à l’autre, la soprano lituanienne tient la vérité de cette Lady Macbeth des kolkhozes, l’actrice relevant avec brio un défi physique permanent : sexualité, violence corporelle, humiliation… Aux saluts, elle paraît hagarde, sans doute épuisée de ce qu’elle a donné. Le sourire vient ensuite, aux rappels enthousiastes.

Comme à Anvers, Ausrine Stundyte a Ladislav Elgr pour amant et complice. Un vieux couple, dira-t-on, mais aucunement usé par les ans. Sans air dédié pour s’épanouir en solo, le ténor tchèque s’affirme par la vigueur et le tranchant d’un rôle qui alterne brutalité et sensualité, désir brut, qu’une voix puissante, sans fioritures, restitue avec netteté. C’est un Sergueï animal qui s’impose à Katerina, l’engagement physique étant, là encore, saisissant.

Dmitry Ulyanov impose un Boris monstrueux. Avec gourmandise, et des manières de cow-boy, il étale la veulerie du personnage et son obscénité, ajoutant à son imposante présence physique une belle voix de basse, profonde, empreinte de graves percutants, cinglants. Comparse idéal de sa belle-fille, le chanteur russe est un « bad guy » parfait, boursouflé de suffisance.

Zinoviy est idéalement joué par John Daszak. Voix claire, bien projetée, aigus de toute beauté, le ténor britannique restitue toute l’épaisseur que ce petit rôle autorise, celle d’un mari terne, faible, voire craintif, face à Katerina, qu’il semble vouloir violenter sans en être capable, mais souffrant aussi, de son impuissance conjugale, comme de l’autorité paternelle trop présente.

On saluera, également, les autres rôles, à commencer par ceux du Pope, ivrogne débraillé, et du Chef de la police, salaud martial et satisfait – sans oublier la triste Aksinia de Julieth Lozano, qui traverse l’intrigue prostrée, comme broyée et écrasée de souffrances.

En fosse, l’Orchestre de la Suisse Romande s’épanouit, sous la baguette inspirée du chef argentin Alejo Pérez. La clarté des pupitres, la précision des ensembles restituent la violence chaotique, ses ruptures et ses contrastes permanents, de manière saisissante, sans nuire à l’homogénéité du plateau.

Cette reprise balaie nos rares réserves, exprimées lors de la création. Ce spectacle exceptionnel fera date.

JEAN-MARC PROUST


© Magali Dougados

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