Opéra, 30 avril
Créée à Liège, par l’Opéra Royal de Wallonie, en janvier 2018 (voir O. M. n° 137 p. 46 de mars), Carmen, dans la mise en scène du réalisateur allemand Henning Brockhaus, a pour ambition de sortir l’œuvre des décors et costumes traditionnels dans lesquels elle a longtemps été représentée.
Mais en choisissant l’univers du cirque pour cadre, Henning Brockhaus n’abandonne pas le cliché : couleurs éclatantes, costumes chargés, acrobates, c’est un véritable « spectacle dans le spectacle » qui se déploie. Le plateau central, qui prend des allures d’arène, pour le combat entre Don José et Escamillo, puis le meurtre final, offre certes des possibilités dramatiques ; mais le cirque énonce, surtout, l’artificialité de la forme opératique. Quitte à ironiser sur le duo Micaëla/Don José, à l’acte I, en plein numéro de dressage canin !
Pour autant, Henning Brockhaus ne renonce pas totalement à l’univers hispanisant, des danseurs de flamenco étant très présents sur scène. Encore et toujours du spectacle, donc, qui laisse la sensation d’un esthétisme maîtrisé et flamboyant, mais d’une lecture dramatique qui aurait pu être plus poussée – à l’exception de la dernière scène, remarquable de tension et d’intensité.
Le choix des dialogues parlés, plutôt que des récitatifs de Guiraud, a également sa part de responsabilité, les interprètes se montrant plutôt embarrassés par ce texte. Anaïk Morel se sort bien de l’exercice, et l’on sent chez elle une Carmen profondément investie. La belle voix de la mezzo française est particulièrement nourrie dans les pages plus lyriques des actes III et IV, où elle se révèle pleinement et donne au personnage toute sa richesse.
Face à elle, on retient, en premier lieu, la rayonnante et sensible Adriana Gonzalez ; la soprano guatémaltèque offre à Micaëla une présence et une chaleur précieuses. Le Don José d’Eric Fennell n’en paraît que plus léger : même s’il propose un beau « La fleur que tu m’avais jetée », le ténor américain n’a pas la projection nécessaire pour les pages les plus intenses de l’œuvre – peut-être est-ce la diction française qui empêche la voix de se déployer ? Scéniquement, son Don José manque également de relief, car à vouloir proposer un personnage faible et manipulable, l’interprète tend à être écrasé par le reste de la distribution.
Le baryton serbe David Bizic joue, au contraire, pleinement la carte d’un Escamillo spectaculaire. Il y réussit parfaitement, grâce à une voix riche et pleine d’autorité. Dans les rôles secondaires, globalement fort bien tenus, on retiendra, avant tout, le Zuniga de Nicolas Brooymans et le duo de contrebandiers (Nabil Suliman et Kaëlig Boché). Aux côtés du Chœur de l’Opéra de Toulon, investi scéniquement et clair de diction, les enfants (Maîtrise de l’Opéra et du Conservatoire TPM) offrent une prestation limpide.
L’Orchestre de l’Opéra de Toulon n’est pas toujours d’une grande précision, et manque parfois de cohésion. Le chef italien Valerio Galli propose, pourtant, une lecture très raffinée. Si les pages plus éclatantes perdent un peu d’intensité, on apprécie le travail effectué pour assouplir la ligne et révéler les subtilités de la musique de Bizet, sans céder à la tentation de l’excès.
CLAIRE-MARIE CAUSSIN