Metropolitan Opera, 14 avril
Premier compositeur afro-américain joué au Metropolitan Opera, Terence Blanchard (né en 1962) est désormais le premier à y avoir proposé deux de ses œuvres.
Créé par l’Opera Theatre de St. Louis, en 2013, dans une salle de dimensions nettement plus modestes (Loretto-Hilton Center for the Performing Arts, 987 sièges), Champion vient, en effet, de faire son entrée au répertoire de la maison new-yorkaise, dans le sillage du succès de Fire Shut Up in My Bones, en septembre 2021 (voir O. M. n° 177 p. 52 de novembre). Pour l’occasion, le compositeur et son librettiste, Michael Cristofer, ont révisé partition et texte, tandis que James Robinson et son équipe « élargissaient » la production originale, avec le concours d’un nouveau costumier.
Spectaculaires, la mise en scène et les décors ont un inconvénient : ils écrasent parfois le conflit intime, qui constitue le cœur de l’opéra. Surtout que le Met, avec en tête la retransmission en HD dans les salles de cinéma, a souhaité en mettre plein la vue, accumulant les effets visuels et les mouvements dansés.
Du coup, comme dans Fire Shut Up in My Bones, la chorégraphie fervente de Camille A. Brown et la performance des artistes qui l’exécutent prennent le dessus sur la narration. Et le long ballet situé dans les Îles Vierges des États-Unis (United States Virgin Islands ou USVI), aussi formidablement servi soit-il, laisse la même impression d’opportunisme et d’image d’Épinal que ceux du « grand opéra » français du XIXe siècle.
Inspiré d’une histoire vraie, celle du boxeur Emile Griffith (1938-2013), sur la vie duquel l’homophobie eut des conséquences tragiques, Champion aurait gagné, en termes d’impact émotionnel, à être joué dans un plus petit théâtre. Pour autant, on ne peut que saluer l’intérêt manifesté par le Met envers un immigrant de couleur, originaire de St. Thomas, l’une des principales îles des USVI, et son souci de coller au plus près de la réalité, entre bar gay et passage à tabac d’un homosexuel.
Le personnage principal est distribué à trois chanteurs différents, qui apparaissent parfois simultanément sur la scène. Eric Owens incarne le « vieil » Emile, souffrant de démence post-traumatique (la conséquence des coups reçus sur le ring et dans la rue), qui revit en flash-back les principaux épisodes de son existence. L’écriture du rôle sert admirablement son baryton-basse désormais élimé – bien mieux, en fait, que tout ce qu’il a récemment chanté. Et l’acteur émeut profondément.
Dans une forme physique et vocale rayonnante, le baryton Ryan Speedo Green, très apprécié par le public du Met, campe un impressionnant « jeune » Emile. Quant au garçon soprano Ethan Joseph, il projette, avec clarté et puissance, les mots et les notes du « petit » Emile.
On s’étonne que la musique, accompagnant les combats du boxeur sur le ring, ne soit pas plus dramatique, plus prenante. Notamment pour le plus tristement célèbre d’entre eux, au Madison Square Garden de New York, le 24 mars 1962, au cours duquel Emile Griffith, exaspéré par les insultes homophobes de son adversaire, le Cubain Benny « Kid » Paret, lui décocha dix-sept coups sur la tête en sept secondes, le plongeant dans un coma qui entraîna sa mort, dix jours plus tard.
Pour le reste, la partition, très éclectique – Terence Blanchard est connu autant pour ses talents de trompettiste jazz que pour ses musiques de films –, est extrêmement efficace en termes d’instrumentation, jouant du contraste entre une section jazzy (piano, contrebasse, guitare, percussions) et l’orchestre traditionnel. La phalange du Met se montre globalement à la hauteur, même si Yannick Nézet-Séguin, emporté par son enthousiasme, tend parfois à couvrir les chanteurs.
L’écriture vocale, en revanche, collant moins bien à la psychologie des personnages, se montre moins gratifiante que dans Fire Shut Up in My Bones, composé plus tard. Ce qui n’empêche pas certains passages de faire mouche, comme les face-à-face entre le « jeune » Emile et sa mère. Emelda Griffith est incarnée par la soprano Latonia Moore, cathartique dans son solo de l’acte II, très certainement le moment musicalement le plus mémorable de tout l’opéra.
Les morceaux ajoutés pour le Met incluent de longs soliloques d’Howie Albert, l’entraîneur d’Emile, aussi superflus que mal écrits. Ainsi de son premier air, qui tombe comme un cheveu sur la soupe, dans la mesure où le spectateur, à cet instant de l’intrigue, n’ayant absolument aucune idée de qui il est, ne sait pas pourquoi il devrait s’intéresser à lui. Le personnage, de surcroît, n’échappe pas aux clichés hollywoodiens, mais le ténor Paul Groves le joue avec aplomb. Dommage que la voix sonne autant sous pression.
En Benny « Kid » Paret, le baryton Eric Greene impressionne davantage par son physique que par sa voix. On le préfère en Benny Paret Jr, le fils du précédent, dans sa scène de réconciliation avec le « vieil » Emile, en quête de pardon. La mezzo Stephanie Blythe, dont la versatilité du talent ne cesse d’étonner, est épatante de gouaille en Kathy Hagan, la tenancière lesbienne du bar, où Emile trouve refuge.
Une mention, encore, pour l’incarnation tout en finesse de la soprano Brittany Renee, en Sadie Donastrog Griffith, la femme qu’Emile épousa sur un coup de tête, et pour celle du percutant ténor Chauncey Packer, en Luis Rodrigo Griffith, le fils adoptif du boxeur, qui s’occupa de lui jusqu’à sa mort.
DAVID SHENGOLD