Opernhaus, 18 mars
Compositeur d’une soixantaine d’ouvrages lyriques, Saverio Mercadante (1795-1870) a connu l’acmé de sa popularité au cours des années 1820 et 1830, en concurrence directe avec Bellini et Donizetti. Et puis, ses opéras sont, pour la plupart, tombés dans l’oubli, éclipsés par la trajectoire ascendante d’un certain Giuseppe Verdi.
Le cas de Francesca da Rimini (1830) est resté particulier, deux projets successifs de représentation ayant avorté, et semble-t-il, à chaque fois, en raison des exigences contradictoires des divas pressenties – rien moins qu’Adelaide Tosi, à Madrid, puis Giulia Grisi et Giuditta Pasta, à Milan. En définitive, la création n’eut lieu qu’en 2016, au Festival de Martina Franca, sous la direction de Fabio Luisi, spectacle mis en scène par Pier Luigi Pizzi, puis publié, en CD et DVD, chez Dynamic (voir O. M. n° 121 p. 49 d’octobre 2016 & n° 127 p. 80 d’avril 2017).
Révélation tardive ou pièce de musée ? Ni le DVD de 2016, ni cette production présentée, en décembre dernier, par le Festival d’Erl (Tiroler Festspiele), et reprise aujourd’hui par l’Opéra de Francfort (Oper Frankfurt), ne permettent, à notre sens, de trancher. D’abord, en raison du livret peu différencié de Felice Romani, où il ne se passe quasiment rien, hormis un adultère d’abord longuement soupçonné, puis cruellement réprimé, le tout ressassé pendant plus de trois heures.
Musicalement, Mercadante s’astreint à enchaîner airs, récitatifs et chœurs en un flux dramatique soutenu, mais échoue par manque d’inspiration mélodique. C’est d’ailleurs curieux : les ingrédients sont bons, les préambules prometteurs, avec quelques instruments joliment mis en valeur (harpe, cor, cor anglais…), et puis, la ligne tourne court, incapable de trouver un second souffle.
On notera, aussi, une virtuosité vocale exigeante mais stéréotypée, avec un usage terriblement prévisible du gruppetto dans les moments élégiaques, et des vocalises souvent réduites à de simples gammes, alternativement ascendantes et descendantes.
Bref, n’égale pas Bellini qui veut, la comparaison avec I Capuleti e i Montecchi, « tragedia lirica » composée la même année, et pour une configuration vocale identique (une soprano, une mezzo en travesti, un ténor), restant peu flatteuse.
Difficile, également, de confronter un ouvrage aussi statique aux exigences du « Regietheater ». Hans Walter Richter tente l’aventure en misant sur une certaine extraversion, mais cela l’oblige à réutiliser sans arrêt les mêmes gestes forts sur des durées très longues, au risque d’une réelle lourdeur. À la fin, on n’en peut vraiment plus de voir le personnage de Lanciotto, mari trompé et jaloux, taper des pieds et se venger, à chaque contrariété, en maltraitant tout le mobilier disponible.
Certains expédients, dont un double dansé pour chacun des trois rôles principaux, et les jolies échappées romantiques, à la Caspar David Friedrich, ménagées par le décor de Johannes Leiacker, aident un peu, mais sans convaincre.
Le ténor américain Theo Lebow se confronte vaillamment au rôle de Lanciotto, encore que sans nuances, et avec un timbre privé de séduction. En revanche, sa compatriote, la toute jeune mezzo Kelsey Lauritano, elle aussi en troupe à Francfort, propose un remarquable Paolo, avec de beaux phrasés et d’intéressantes colorations de timbre, qui rendent immédiatement cette musique plus captivante.
Davantage de bonne école belcantiste, sans doute, chez la Francesca de Jessica Pratt. Et, pourtant, on s’interroge à propos d’un suraigu très juste, mais de notes intermédiaires qui le sont beaucoup moins, et aussi d’une relative indifférence expressive.
Direction compétente du chef espagnol Ramon Tebar, et belle prestation des chœurs, assez fréquemment sollicités, tout au long d’une soirée courageuse, mais où on s’ennuie souvent.
LAURENT BARTHEL