Opéras Rusalka écolo-féministe à Londres
Opéras

Rusalka écolo-féministe à Londres

31/03/2023
© Camilla Greenwel

Royal Opera House, Covent Garden, 7 mars

Dès les deux premières mesures de Rusalka, et leur alliage, à la fois austère et mystérieux, de violoncelles et de timbales, Semyon Bychkov, habitué de la fosse du Covent Garden, où il n’était cependant plus redescendu depuis une production de Cosi fan tutte, en 2016, installe une atmosphère d’une absolue évidence. Est-ce parce qu’il est, depuis cinq ans, le directeur musical de l’Orchestre Philharmonique Tchèque, que le chef américain parvient, à la tête des musiciens du Royal Opera House, à un tel degré d’authenticité ?

Sa manière de faire scintiller, non seulement les couleurs de la partition, mais aussi ses rythmes, en retenant souvent la pulsation – est-ce un paradoxe ? – pour mieux les ciseler, sans figer le flux naturel de la phrase, pas plus qu’il n’appuie, jamais, ni les contrastes, ni ce qui, sous d’autres baguettes, a pu sembler relever d’un certain folklore, ou bien plutôt de sa caricature, est d’un immense musicien, certes, et, surtout, d’un fascinant conteur.

Il n’en fallait pas moins, pour pallier la médiocrité du spectacle, cosigné par la réalisatrice britannique Natalie Abrahami et la chorégraphe américaine Ann Yee, affichant des intentions écolo-féministes qui poussent le « politiquement correct » jusqu’à rétrograder la Princesse, que le livret de Jaroslav Kvapil a sans doute le mauvais goût, pour notre époque si prompte à s’offusquer d’un rien, de qualifier d’étrangère, au rang de Duchesse…

Malgré l’illusionnisme aquatique de la voltige poétique qui unit, en apesanteur, Rusalka et le Prince – les danseurs Becky Scarrott et Jamie Higgins – au début, et à nouveau à la fin de l’opéra, la magie originelle du premier acte sombre rapidement dans un ersatz de carton-pâte hideusement suranné, mais probablement durable, en conformité avec les critères écoresponsables revendiqués – dans cette même logique vertueuse, qu’il convient évidemment de saluer, et d’encourager, le programme de salle a été imprimé sur du papier 100 % recyclé.

Au II, le château du Prince n’en paraît que plus banalement contemporain, où est exhibé, désormais doré, le tronc de l’arbre au pied duquel gisait Rusalka, après sa métamorphose. Au III, enfin, la végétation des rives du lac se réduit à quelques traces asséchées et noircies, symbole de l’irréversible destruction de la nature par l’homme, dont la nymphe des eaux serait l’allégorie.

Si l’ensemble se tient et se justifie sur le plan dramaturgique, cette mise en scène aux relents de déjà-vu – et en bien mieux – peine, à travers le filtre de son message, assurément nécessaire, mais trop univoque dans sa façon d’épouser l’air du temps, à donner consistance aux personnages et à leur histoire. À commencer par l’héroïne éponyme.

Il faudrait n’avoir pas vu Asmik Grigorian dans le DVD filmé au Teatro Real de Madrid, en novembre 2020, et publié par Cmajor, pour tolérer la méchante perruque blonde, d’abord longue, puis coiffée en carré, qui dissimule l’un des visages les plus expressifs de la scène lyrique actuelle – et pas seulement. Le rayonnement de la soprano lituanienne, dont Christof Loy avait si bien capté l’intensité, en métamorphosant Rusalka en ballerine au destin brisé, s’en trouve presque annihilé, comme la singulière modernité de sa présence et de son jeu.

Celle-là même qui fait ressortir la qualité, presque à l’ancienne, de ce chant porté par un souffle long, qui en assure la ductilité et en magnifie les suspensions. À la fois souple et cuivré, enveloppant et tranchant, lyrique autant que dramatique, en somme.

Le reste du plateau, à commencer par des silhouettes peu marquantes, ne se hisse pas à de telles hauteurs vocales. Comme dans le Fidelio monté par Tobias Kratzer, au Covent Garden, où il avait remplacé, à la veille de la mise en sommeil du spectacle vivant, un Jonas Kaufmann porté pâle, après les trois premières représentations de mars 2020 (voir O. M. n° 161 p. 30 de mai), David Butt Philip fait valoir un ténor d’un métal sans peur et sans reproche, auquel ne fait défaut qu’un supplément de séduction, quoique le Prince qu’il incarne n’ait rien de charmant.

Ce n’est pas faire injure à l’artiste caméléon qu’est Sarah Connolly, que de constater, une fois admis un ascendant physique et un tempérament explosifs, renforcés par l’étendue d’un répertoire de grimaces maléfiques qui ne peut manquer de faire son petit effet, que l’ambitus de Jezibaba lui arrache des sons fort désagréables et, partant, qu’elle s’y fourvoie.

À l’inverse, Aleksei Isaev finirait presque par rendre Vodnik apathique, tant il déploie son legato, comme pour lui-même, dans une nuance immuablement piano. Quant à Emma Bell, elle englue sa Princesse étrangère, et d’abord furieusement cougar, dans l’épaisseur d’une émission dont la lumière laiteuse est devenue opaque.

La rencontre entre Semyon Bychkov et Asmik Grigorian, décidément, méritait mieux.

MEHDI MAHDAVI


© Camilla Greenwel

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