Événement Ariodante revient à l’Opéra de Paris
Événement

Ariodante revient à l’Opéra de Paris

29/03/2023

Du 20 avril au 20 mai, le Palais Garnier accueille une nouvelle production de l’un des chefs-d’œuvre de Haendel, créé à Londres, en 1735. Les répétitions ont commencé, sous la houlette du chef et du metteur en scène : Harry Bicket et Robert Carsen. En tête de distribution : Emily D’Angelo dans le rôle-titre, Olga Kulchynska en Givevra, et Christophe Dumaux en Polinesso. L’occasion de reparcourir les deux précédentes étapes de la carrière d’Ariodante, à l’Opéra National de Paris : son entrée au répertoire, en mars 1985, sur le plateau du Théâtre des Champs-Élysées, coproducteur du spectacle de Pier Luigi Pizzi ; puis la nouvelle mise en scène de Jorge Lavelli, en 2001, au Palais Garnier. 


Robert Carsen en répétition avec Emily D’Angelo. © Opéra National de Paris/Elena Bauer

La parole à Robert Carsen 

« J’ai découvert très vite, et assez tôt, que j’adorais Haendel, qui est, avec Janacek, mon compositeur préféré pour le théâtre. En effet, avant même de mettre en scène Orlando, au Festival d’Aix-en-Provence, en 1993, j’avais monté, alors que j’étais encore un jeune assistant à la recherche de travail, une première production de Semele, à la Royal Academy of Music de Londres, sous la direction d’Anthony Lewis. Chaque univers musical a ses propres codes : Haendel suivait ceux de son époque, mais je ne vois pas cela comme une contrainte. L’aria da capo conduit à créer des situations et à plonger, tel un zoom, dans la tête et le cœur d’un personnage. Cela m’a totalement fasciné, parce qu’en fin de compte, ce sont les caractères qui me passionnent. Bien évidemment, il faut trouver un moyen pour raconter toute l’histoire, et il est très important que chaque détail puisse faire partie d’un tout.

Le premier acte d’Ariodante, qui est le plus long, est dominé par la joie – à l’exception de Polinesso, qui ourdit son complot, et de l’air où Ginevra est furieuse contre lui. Tout le monde est content, y compris Lurcanio, qui accepte plutôt bien que Dalinda lui réponde qu’elle n’est pas faite pour lui. Ce bonheur se poursuit jusqu’au ballet qui célèbre, à la fin de l’acte, les fiançailles d’Ariodante et Ginevra, ou plutôt le mariage prévu le lendemain. Et il revient, au III, à partir de « Dopo notte« . Mais quand les choses tournent mal, au II, Ariodante et Ginevra ont chacun des moments désespérés.

Il est très intéressant de mettre en scène Ariodante après Alcina, même si ces partitions ont été créées dans l’ordre inverse, en 1735. Je ne sais d’ailleurs pas comment Haendel a réussi à produire ces deux chefs-d’œuvre, à quatre mois d’écart seulement : le premier, en janvier, et le second, en avril. Ils n’en sont pas moins radicalement différents. Alcina est très métaphorique, et le texte des airs recourt souvent à des associations poétiques, tandis que le moteur d’Ariodante est l’action. Il n’y a pas d’intrigue secondaire, et tous les personnages sont liés par la même histoire.

Du point de vue de la forme, c’est un opéra assez moderne, pour son époque, mais une fois de plus, c’est dans l’émotion qu’on découvre les caractères. Nous ne savons rien, par exemple, des origines d’Ariodante, qui est un peu l’archétype du prince charmant : il est jeune, beau, et Ginevra l’aime. On ne découvre qui est cet homme qu’à travers sa musique. Et ce n’est qu’au début du III, dans « Cieca notte » – qui trouve son pendant, et sa résolution, dans « Dopo notte » –, qu’il réalise qu’il doit passer à l’action.

Polinesso est une figure de « méchant » très brillante. Il me rappelle certains personnages shakespeariens, et particulièrement Richard III, quand il n’est encore que duc de Gloucester : quelqu’un qui ne devrait jamais être roi, mais fait tout pour y arriver, et y réussit presque. Polinesso utilise la bêtise des autres, pour obtenir ce qu’il veut. Il s’agit d’une lutte de pouvoir, enfermée dans le monde privilégié de l’aristocratie. C’est pourquoi Polinesso, dont l’aspiration au trône est légitime, de son propre point de vue, sait parfaitement comment tirer les ficelles. « Mud sticks » (« La boue colle »), comme on dit en anglais, lorsque, soudain, tout le monde se met à croire à une accusation a priori infondée.

Quand j’ai monté Alcina, je n’ai pas gardé les danses, parce que je ne voyais pas comment les intégrer dans la production que j’avais envie de faire, qui était une sorte de marivaudage noir. Dans Ariodante, elles sont, en revanche, un élément très important. Et nous avons conservé tous les ballets des premier et deuxième actes. Ceux du II, en particulier, sont incroyables, avec le contraste entre les Songes agréables et les Songes funestes, puis le combat qui les oppose. Et l’acte s’achève sur quelques mots de récitatif accompagné, pour la seule fois dans toute l’œuvre de Haendel. C’est très frappant, et même assez violent.

La scénographie de notre production, qui se situe en Écosse, comme le veut le livret, est vraiment intéressante. Il faut dire que le niveau des ateliers de l’Opéra National de Paris est exceptionnel, et que revenir dans cette maison est toujours un plaisir. Je ne sais pas si c’est un savoir-faire français, mais cette capacité à réaliser des choses avec des matériaux très modernes, alliée à une réelle compréhension de la peinture, de la sculpture, etc., est très impressionnante. Et quelle joie d’avoir affaire à des personnes si impliquées dans leur travail ! Cosigner les décors, avec Luis F. Carvalho, me permet une autre forme de rencontre avec les techniciens. Ils voient les problèmes, dès la phase de montage sur le plateau. Et la première règle, au théâtre, étant que les choses ne marchent jamais du premier coup, on doit être armé pour les faire fonctionner. C’est la même recherche que pendant les répétitions.

Et puis, voici un scoop, il y aura un lit ! Je sais qu’on me reproche souvent d’en utiliser, mais dans la plupart des opéras, les personnages passent leur temps, soit à faire l’amour, soit à mourir… Et ces deux choses ont tendance à se produire dans un lit. Dans une scène où elle est submergée par des Songes agréables et des Songes funestes, Ginevra peut quand même en avoir un, non ? »

Propos recueillis par MEHDI MAHDAVI

Les productions précédentes

Le 25 mars 1985, Ariodante fait son entrée au répertoire de l’Opéra National de Paris, en coproduction avec le Théâtre des Champs-Élysées, où ont lieu les cinq représentations. Jean-Claude Malgoire est au pupitre de La Grande Écurie et la Chambre du Roy, Pier Luigi Pizzi signant mise en scène, décors et costumes. 


Françoise Destembert (Dalinda) et Andrew Dalton (Polinesso). © Colette Masson/Roger-Viollet


Pier Luigi Pizzi dirigeant Zehava Gal (Ariodante). © Colette Masson/Roger-Viollet

Le 17 avril 2001, après seize années d’absence, Ariodante revient à l’Opéra National de Paris, cette fois au Palais Garnier, pour dix représentations. Marc Minkowski est au pupitre des Musiciens du Louvre, la mise en scène étant confiée à Jorge Lavelli, dans des décors d’Alain Lagarde et des costumes de Francesco Zito.


Anne Sofie von Otter (Ariodante) et Laura Claycomb (Ginevra). © Opéra National de Paris/Éric Mahoudeau


Anne Sofie von Otter (Ariodante). © Opéra National de Paris/Éric Mahoudeau