CD / DVD / Livres Hommage à Dmitri Hvorostovsky
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Hommage à Dmitri Hvorostovsky

23/03/2023

Dmitri Hvorostovsky  : The Philips Recitals

11 CD Decca Eloquence 484 4292

La France découvre Dmitri Hvorostovsky (1962-2017), en 1989, alors qu’il incarne Eletski dans La Dame de pique, à l’Opéra de Nice. Quelques mois auparavant, il a remporté le prestigieux Concours « Cardiff Singer of the World » devant Bryn Terfel. Philips ne s’y trompe pas, qui lui signe aussitôt un contrat. S’ensuit une collaboration qui durera jusqu’en 1997. Pressentant qu’on lui demandera, de plus en plus, de céder à la mode du cross-over, le baryton russe se séparera de la firme, pour rejoindre le label Delos – il y gravera de nombreux récitals, mais aussi des intégrales de Rigoletto et Simon Boccanegra.

Le chant de Dmitri Hvorostovsky, immédiatement prenant, s’inspirait de deux modèles, ceux légués par son compatriote Pavel Lisitsian (1911-2004) et l’Italien Ettore Bastianini (1922-1967). Comment ne pas être séduit par les qualités d’un instrument aussi exceptionnel, une vraie voix de baryton Verdi, longue et souple, puissante, à l’aigu insolent, au timbre lumineux et généreux, et par la forte impression laissée par des interprétations dénuées de toute affectation ? Penchons-nous de plus près sur les onze albums, présents dans ce coffret.

Le parcours s’ouvre avec des airs d’opéra, confiés au studio, en 1990. Au programme de ce Tchaikovsky & Verdi Arias, sous la baguette d’un ardent Valery Gergiev, deux des compositeurs qui ont fait la réputation du baryton. Prestance, autorité, vaillance, émotion caractérisent Eugène Onéguine et La Dame de pique, et, plus encore, les moins populaires L’Enchanteresse, Iolantha et Mazeppa, vraiment superbes. Le legato verdien est bien tenu (La -traviata, Il trovatore), l’engagement dramatique réel (Don Carlo), conventionnel, certes, mais sincère.

En 1993, Dmitri Hvorostovsky retrouve un Valery Gergiev toujours aussi flamboyant, dirigeant non plus le Rotterdam Philharmonic Orchestra, mais l’Orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg. À l’affiche de cet album, intitulé Songs and Dances of Death, des Rimski-Korsakov somptueux (Sadko, La Fiancée du Tsar et le plus rare Katcheï -l’Immortel), dont le baryton souligne la beauté mélodique, un Prince Igor de Borodine, magnifique d’autorité et de style, des Rubinstein (Anton, et non Arthur, comme mentionné sur la pochette et le livret !) peu fréquentés (Le Démon, Néron), un Aleko de Rachmaninov de belle allure, et une vision prenante des Chants et Danses de la Mort de Moussorgski, revêtus de l’orchestration de Chostakovitch. Comme toujours, l’artiste paie comptant, et c’est irrésistible.

Opéra, encore, avec Bel Canto Arias, gravé sous la baguette d’Ion Marin, en 1992. De louables efforts pour tenir la ligne mélodique (La favorita), une réelle dignité (Guglielmo Tell, I puritani), une jeunesse qui sied à Belcore (L’elisir d’amore) et Malatesta (Don Pasquale), mais des vocalises un peu scolaires, et toujours une tendance à camper des personnages extravertis (Il barbiere di Siviglia), là où le théâtre doit venir de la seule musique.

Les Arie Antiche de 1997 (Carissimi, Caldara, Caccini…) sont moins convaincants, exigeant une discipline vocale qui n’est pas, naturellement, celle du chanteur. Accompagnement brillant et suave, mais daté, de l’Academy of St. Martin in the Fields, sous la direction de Neville Marriner.

Dans l’album Olga & Dmitri : Arias & Duets, également enregistré en 1997, cette fois sous la baguette de Patrick Summers, le compagnonnage avec Olga Borodina va de soi, y compris au mauvais sens du terme. Car l’histrionisme (Il -barbiere di Siviglia), les graves poitrinés (La favorita), l’exotisme de l’élocution (Samson et Dalila) de la mezzo russe ne rendent service ni au bel canto, ni à Saint-Saëns. La puissance et l’opulence vocale ne font pas tout, si les intentions expressives manquent leur but ! Heureusement, les deux complices retrouvent le naturel de la langue dans Rimski-Korsakov, qu’ils célèbrent avec de superbes extraits de La Fiancée du Tsar.

Trois CD sont consacrés à la mélodie. Russian Romances (1990) réunit Tchaïkovski et Rachmaninov, My Restless Soul (1993) leur ajoute Borodine et Rimski-Korsakov, et Russia Cast Adrift (1994) propose, outre neuf pages de Rachmaninov, le cycle de Georgy Sviridov (La Russie à la dérive), qui donne son titre à l’album. La grande voix du baryton s’adapte sans peine à ces partitions, le naturel de la langue et de l’articulation sont ici des atouts précieux, de même que l’habileté à varier les atmosphères. Sensibilité et vaillance, nostalgie et autorité, s’allient pour le meilleur. Mikhail Arkadiev (My Restless Soul, Russia Cast Adrift) et Oleg Boshniakovich (Russian Romances), au piano, sont des partenaires attentifs.

Immanquablement, les airs folkloriques russes sont présents, occupant deux CD. Chantés avec un panache et une conviction sans faille, bénéficiant d’un orchestre ad hoc, avec balalaïkas obligées (Dark Eyes : Russian Folk Songs, 1991), et du magnifique Chœur de Chambre de Saint-Pétersbourg (Kalinka : Russian Folk Songs, 1996), ils raviront les amateurs d’exotisme.

Dans Credo (1994), enfin, le même ensemble vocal impressionne par sa profondeur, dans un florilège de pièces religieuses russes (Burmagin, Khristov, Tchesnokov, Kosolapov…).

Emporté, le 22 novembre 2017, par une tumeur au cerveau, à l’âge de 55 ans, celui qui fut, à juste titre, l’un des barytons les plus en vue de sa génération, méritait bien l’hommage que lui rend Decca Eloquence, en rééditant l’ensemble des récitals Philips, même si certains choix de répertoire n’étaient pas indispensables.

MICHEL PAROUTY

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