On en parle Nancy et Montpellier célèbrent Iphigénie
On en parle

Nancy et Montpellier célèbrent Iphigénie

11/03/2023
Julie Boulianne (Iphigénie). © Amandine de Cosas / Opéra National de Lorraine

Faut-il y voir plus qu’une coïncidence ? La saison dernière, Rafael R. Villalobos et Silvia Paoli signaient, à
quelques semaines d’intervalle, l’un à Montpellier, l’autre à Nancy, deux productions de Tosca. Et, sans doute, la seconde, épurée jusqu’à la froideur (voir O. M. n° 185 p. 71 de septembre 2022), n’était-elle pas moins offensive envers une certaine tradition que la première, venue de la Monnaie de Bruxelles (voir O. M. n° 184 p. 52 de juillet- août 2022). Pour Iphigénie en Tauride, qu’ils montent successivement à l’Opéra National de Lorraine (du 15 au 21 mars) et à l’Opéra Orchestre National Montpellier (du 19 au 23 avril), la metteuse en scène italienne a la préséance.

Dernier triomphe parisien de Gluck, le 18 mai 1779, son ultime « tragédie lyrique », d’une intensité dramatique visionnaire – dont Wagner se souviendra –, plonge d’emblée in medias res, au cœur d’un drame familial qui est aussi, déjà, un théâtre mental, traversé de visions fulgurantes. Et c’est, à Nancy, le fil de la mémoire, hantant jusqu’au délire, que va tirer Silvia Paoli. « Le premier étage du décor représente le souvenir d’un appartement bourgeois où, probablement, Iphigénie vivait avec Agamemnon, Clytemnestre et Oreste, décrit-elle. La tempête initiale est un cauchemar de l’héroïne, qui se revoit jouant avec son frère. À son arrivée, elle ressent – sans reconnaître Oreste, parce qu’il était vraiment très jeune, lorsqu’il a quitté la maison – la force de ce lien familial. Des fantômes hantent ce lieu à moitié détruit, d’après-guerre, où l’on peut reconnaître des choses du passé, mais qui ne sont plus là. »


Maquette du décor signé Lisetta Buccellato pour la production d’Iphigénie en Tauride, à Nancy.

La guerre, celle qui, précisément, fait rage aux frontières de l’Europe, est le point de départ de la vision de Rafael R. Villalobos, à Montpellier. « Quand j’ai commencé à travailler sur la pièce en profondeur, je n’ai pu m’empêcher de penser que la Tauride se situait à l’emplacement de l’actuelle Crimée, constate-t-il. Le principal sujet de l’opéra est la façon dont les guerres séparent les familles, particulièrement lorsqu’elles se déroulent à la frontière entre deux zones qui ne faisaient qu’une, au point que leurs membres finissent par ne plus se reconnaître – c’est ce qui arrive à Iphigénie et Oreste. Cette production traite aussi du théâtre comme bunker, comme lieu sûr, et de la culture comme refuge. »

C’est pourquoi la scénographie s’inspire du Théâtre de Marioupol, bombardé par les Russes, le 16 mars 2022. « Je n’emploierai pas le terme d’inspiration, qui résonne de façon à la fois étrange et douloureuse dans un contexte aussi tragique, rectifie le metteur en scène ­espagnol. Mais j’ai été tellement affecté et choqué par cet événement qu’il m’était impossible de ne pas y penser. Ce lieu permet de combiner l’histoire familiale d’Iphigénie, et celle des civils essayant d’y sauver leurs propres vies. La tragédie, dans la Grèce antique, était un outil démocratique pour se comprendre les uns les autres. Il s’agit donc d’une réflexion sur le théâtre comme miroir de nos vies, et la raison pour laquelle nous devons protéger ce trésor qui nous est commun, à tous. »


Maquette du décor signé Emanuele Sinisi pour la production de Montpellier.

Deux approches complémentaires, en somme, dans leur aspiration à l’universalité et à une intemporalité qui, néanmoins, s’ancre dans le présent. Et, dans la fosse, deux chefs de la jeune génération – Alphonse Cemin (37 ans), à Nancy, Pierre Dumoussaud (32 ans), à Montpellier –, au fait de l’apport de la pratique « historiquement informée », qui a brisé le marbre dans lequel cette musique était trop longtemps demeurée figée, devraient porter à ébullition des distributions mêlant découvertes, promesses et artistes confirmés.

L’Opéra National de Lorraine révèle, en Oreste et Pylade, le baryton néo-zélandais Julien Van Mellaerts et le ténor tchèque Petr Nekoranec, déjà maîtres d’un français limpide, et offre à la mezzo-soprano canadienne Julie Boulianne sa première Iphigénie. Prise de rôle, aussi, pour Vannina Santoni, qu’entoureront, à l’Opéra Comédie de Montpellier, Jean-Sébastien Bou, au sommet de ses moyens expressifs pour renouer avec les affres du matricide, auxquelles il ne s’était plus abandonné depuis plus de quinze ans, et Valentin Thill, au nom prédestiné pour sa tessiture, et dont il est urgent de retenir le prénom.

MEHDI MAHDAVI

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