Opéras Farce donizettienne à Tours
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Farce donizettienne à Tours

10/03/2023
© Marie Pétry

Grand Théâtre, 3 mars

Pile un mois après Lucie de Lammermoor, l’Opéra de Tours affiche, du même Donizetti, un « opéra-comique » en un acte (et à peine une heure), achevé en 1841 et créé à l’Opéra-Comique, le 7 mai 1860, douze ans après la mort du compositeur.

Deux hommes et une femme (plus connu sous le titre Rita ou le Mari battu) est exactement le type d’ouvrage, dont le sujet n’est plus défendable à notre époque. Rita, certes, bat – gentiment – son second époux, Pepé. Mais, avant cela, elle a, elle-même, subi les violences de son premier époux, Gasparo, disparu en mer. Quand celui-ci, que l’on croyait mort, resurgit, il se scandalise du sort subi par son successeur et se lance dans l’apologie des corrections infligées aux femmes (« On peut bien battre sa femme/On ne doit pas l’assommer/Non, non, non, non ! »).

Pour le reste, le livret de Gustave Vaëz n’est pas sans vertus, la principale étant de proposer un schéma original : une femme, non pas aimée par deux hommes, qui se la disputent, mais dont chacun tient à se débarrasser ! Ce qui conditionne toute une série de faux-semblants : faux noyé, fausse brûlée, faux niais, faux manchot…

Conscient du malaise produit par le sujet, Vincent Boussard dynamite le vaudeville, en donnant à ce cadre domestique (symbolisé par une boîte, où se déroule l’action) une ouverture, côté cour. Cette vaste fenêtre donne sur un ailleurs, dont revient le beau marin, rejeté par les flots.

Le metteur en scène français brouille aussi les cartes, en montrant Gasparo non comme un voyageur, s’arrêtant par hasard à l’auberge tenue par Rita – qu’il croit morte dans un incendie –, mais comme une sorte d’Arsène Lupin masqué, surpris par Pepé près du coffre-fort. De même, il montre tout ce que la complicité virile et misogyne entre les deux maris cache de secrète attirance, moment troublant, où les faux rivaux esquissent un sensuel pas de deux, sous le regard médusé de leur femme.

Enfin, Vincent Boussard opère un joli double coup de théâtre, dans le dernier tableau.  Quand Gasparo s’en va, son attestation en poche pour pouvoir se remarier, le couple formé par Rita et Pepé est censé prendre un nouveau départ. À Tours, hors scène, deux coups de feu retentissent. Les maris se sont suicidés, permettant ainsi à Rita, toute joyeuse, d’envisager l’avenir au bras de la jolie serveuse – rôle muet, tenu par la comédienne Alessia Bitri –, en reprenant le début de son air d’entrée (« Jamais femme n’eut lieu d’être aussi satisfaite de son destin que je le suis ! »).

Reconnaissons que cette farce, pas vraiment drôle au départ, est exploitée sous son meilleur profil par cette lecture impertinente, qui s’appuie sur une direction d’acteurs affûtée, dans l’étonnant cadre de scène imaginé par Domenico Franchi, les beaux costumes de Christian Lacroix, le tout sous les magnifiques lumières de Silvia Vacca.

Surtout, la partie musicale est de haut vol, à commencer par la direction alerte et subtile de Vincenzo Milletari, qui fait des débuts remarqués en France. Le chef italien tire le meilleur de la partition (trois airs, trois duos et un trio), d’un indéniable savoir-faire, sans que l’on puisse crier au génie.

La distribution étonne par la disparité des profils vocaux, de surcroît avec de si nombreux dialogues parlés. Avec Rita, Patrizia Ciofi ajoute un nouvel emploi à sa couronne belcantiste : l’art du chant, le style, la classe et le charme sont toujours là, mais la voix est désormais fatiguée, sans couleur, ni projection, en particulier dans le médium. Et le français serait difficilement compréhensible, sans les surtitres. Heureusement, le rôle est sans grand péril, et la soprano italienne dessine, avec gourmandise, cette mégère ne se laissant pas apprivoiser.

La bonne surprise vient du Gasparo de Dietrich Henschel (55 ans, lui aussi), mais en excellente voix, sonore et longue, dans un emploi demandant surtout de la présence – et le baryton allemand en a à revendre –, et peu de science proprement belcantiste. Le français sonne plus d’une fois exotique, dans le chant comme dans les dialogues, mais pour un marin venant de loin, cela peut se concevoir.

Enfin, en Pepé, saluons la très belle performance du ténor français Léo Vermot-Desroches, voix de soleil, évidence du phrasé – malgré un ou deux aigus poussés –, diction mordante et parfaitement intelligible. La mise en scène exploite même sa maladresse de jeu, pour caractériser un époux nettement plus jeune que sa femme et un peu niais.

THIERRY GUYENNE


© Marie Pétry

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