Grand-Théâtre, 6 mars
En passant du Festival « Donizetti Opera » de Bergame, où elle a été créée, en novembre 2022 (voir O. M. n° 189 p. 18 de février 2023), à l’Opéra National de Bordeaux, son coproducteur, la mise en scène de La Favorite par Valentina Carrasco n’a rien perdu de son impertinence.
Sa vision radicale du rôle historique des femmes, à travers le « sacrifice » de Léonor de Guzman sur l’autel de l’honneur masculin, culmine toujours dans la pantomime du II, où un groupe de vieilles dames – recrutées dans la population locale, elles ont été préparées par le chorégraphe Massimiliano Volpini, au cours d’ateliers spécifiques – s’ébat dans une parodie de ballet. Celle-ci résume le destin de ces femmes exploitées par l’égoïsme machiste, incarné aussi bien par le roi Alphonse XI que par le pusillanime Fernand.
Si l’humour semble d’abord l’emporter dans ce divertissement, la violence de son final, où la cour humilie et moleste sans pitié les femmes, les refoulant dans les limbes de l’oubli, se révèle saisissante et nous a semblé plus terrible encore qu’à l’automne.
Depuis sa prise de rôle, à Bergame, Annalisa Stroppa (remplaçant Varduhi Abrahamyan, initialement annoncée) a sensiblement amélioré sa prononciation française et, avec des moyens respectables, un beau médium et une grande musicalité, paraît toujours aussi investie dans son personnage. Un grave assez faible, un rien de stridence dans les aigus forte et, surtout, une couleur résolument italienne font néanmoins regretter l’absence d’une mezzo francophone, pour donner toute son authenticité à l’héroïne.
Succédant à Javier Camarena, Pene Pati s’impose d’emblée, avec un timbre lumineux, un chant d’un naturel séduisant, toujours parfaitement nuancé, et une articulation quasiment parfaite. Sur le plan stylistique, toutefois, son Fernand, souvent un peu gauche scéniquement, se réfère davantage au répertoire français de la deuxième moitié du XIXe siècle qu’au « grand opéra », encore imprégné de belcantisme, du tournant des années 1830-1840.
Comme à Bergame, Florian Sempey force toujours un peu trop sur la puissance vocale, pour caractériser son personnage de monarque autoritaire, impétueux et brutal. Mais il convainc pleinement dans les moments lyriques, captivant l’auditeur dans sa célèbre cavatine, splendidement phrasée.
Vincent Le Texier peine à trouver son assise dans les imprécations de Balthazar, qui le mettent à rude épreuve, mais sa basse bien timbrée et son sens de la déclamation donnent toute l’ampleur souhaitée aux grands récitatifs accompagnés. Marie Lombard est une Inès pleine de fraîcheur, et Sébastien Droy tient dignement sa place dans le personnage à peine esquissé de Don Gaspar, l’âme damnée d’Alphonse XI, en costume ecclésiastique.
Remarquablement préparé par Salvatore Caputo, le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux est aussi convaincant dans les lazzis des courtisans que dans les ensembles. À la tête de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, Paolo Olmi dirige de main de maître cette version intégrale de la partition, en ne couvrant jamais les chanteurs.
Au rideau, malgré la longueur d’un spectacle de plus de trois heures et demie, l’équipe se taille un succès sans réserve.
ALFRED CARON