Théâtre Impérial, 3 mars
Depuis déjà plusieurs années, opérettes et comédies musicales françaises des « Années folles » connaissent un regain d’intérêt. Mises en scène luxueuses et jeunes interprètes doués assurent le succès des résurrections de ces œuvres jadis populaires. La mine d’or recèle encore bien des pépites. Aujourd’hui, c’est la compagnie lyrique Les Frivolités Parisiennes, en résidence au Théâtre Impérial de Compiègne, qui remet au goût du jour Coups de roulis.
Créé au Théâtre Marigny, en 1928, l’ouvrage a, pour tête d’affiche, Raimu, alors âgé de 45 ans. On est plein d’admiration en face d’André Messager qui, largement septuagénaire, compose une partition d’une gaieté toute juvénile. Après le succès commun de Passionnément, son librettiste Albert Willemetz écrit des dialogues d’un humour percutant, qui prennent pour cibles la guerre des sexes et la politique, sujets ne risquant pas de se démoder.
Le cinéma s’empare de Coups de roulis, avec un film de Jean de La Cour (1931), où Max Dearly succède à Raimu. Jeux de mots, allitérations cocasses et sous-entendus volontiers égrillards font mouche : « C’est bien la première fois qu’un député se vend pour si peu… », « Faut-il que les hommes soient buses ! », lancent les protagonistes déchaînés.
André Messager compose une musique pimpante et alerte, alternant des duos sentimentaux avec des ensembles allant jusqu’au sextuor. Le tout, où sont cités fox-trot et shimmy, est mené à un rythme endiablé, souligné par la mise en scène de Sol Espeche, qui file à pleines voiles. En ajoutant des gags, grâce à la vidéo d’Alexis Lardilleux, comme ces fausses publicités portées par la diva Sola Myrrhis, la production, qu’animent les trépidantes chorégraphies d’Aurélie Mouilhade, gagne encore en vivacité.
L’intrigue passe du navire Montesquieu, où sévit le haut-commissaire Puy-Pradal, aux salons du Caire, pour un bal qui permet au commandant Gerville de retrouver une comédienne extravagante. Les costumes de Sabine Schlemmer ne sont pas des années 1920, mais d’aujourd’hui, avec des robes du soir rehaussées d’une touche kitsch. Peut-être parce que metteuse en scène et costumière sont des femmes, les marins, une fois n’est pas coutume, et alors que les dames ne révèlent rien, font admirer leurs cuisses dans des shorts plus ou moins courts, mais pas leurs mollets, cachés par des chaussettes blanches.
Très en verve, la distribution rivalise d’entrain. Tous deux barytons, Jean-Baptiste Dumora, tout en bonhomie et autorité bafouée, incarne Puy-Pradal, le « Commissaire qui serre, qui serre », tandis que Philippe Brocard, en Gerville, voit filer le temps de ses amours.
En diva déjantée, la mezzo Irina de Baghy fait un irrésistible numéro, digne de la Castafiore. La soprano Clarisse Dalles prête charme et aplomb à Béatrice, faux secrétaire et vraie fille de Puy-Pradal, qui sème la zizanie à bord du navire, où « flotte » rime avec « culotte ». Au bal, les six chanteuses qui forment le chœur se démènent, l’une d’elles faisant une imitation très réussie de Roselyne Bachelot…
Agrémenté d’une houppette et d’une moustache conquérantes, le baryton Christophe Gay est Kermao, soupirant éperdu de Béatrice. Jouant de son accent québécois, le ténor Guillaume Beaudoin incarne Pinson avec verve, et le comédien Maxime Le Gall se montre formidable dans l’Amiral gâteux.
Comme Alexandra Cravero dirige, avec beaucoup d’enthousiasme, l’Orchestre des Frivolités Parisiennes, la soirée passe en un éclair. Applaudi par le public de Compiègne, et notamment des enfants ravis, le spectacle est allé à Tourcoing et, pour une semaine, à Paris (Athénée Théâtre Louis-Jouvet). Gageons que cette folle croisière se poursuivra au fil des prochaines saisons.
BRUNO VILLIEN