Opéras Électrisant Tristan à Toulouse
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Électrisant Tristan à Toulouse

10/03/2023
© Mirco Magliocca

Théâtre du Capitole, 4 mars

Créé en 2007 (voir O. M. n° 18 p. 64 de mai), repris en 2015 (voir O. M. n° 104 p. 71 de mars), le Tristan und Isolde du Capitole de Toulouse n’a rien perdu de sa beauté dépouillée. Reprenant la mise en scène du regretté Nicolas Joel, Émilie Delbée lui a, en revanche, apporté l’animation qui lui faisait défaut, grâce à une direction d’acteurs plus vive et affûtée.

Dans une distribution qui ne compte que des prises de rôles, Sophie Koch et Nikolai Schukoff sont les premiers à en bénéficier. La mezzo française, somptueuse Brangäne, il y a quelques années, réussit admirablement sa reconversion en Isolde. Les contre-ut n’ont sans doute pas la facilité et le tranchant d’une vraie soprano, mais quelle richesse dans le timbre, quelle émotion et sensualité dans le phrasé, quelle puissance et opulence dans l’aigu !

Dès son entrée, son Isolde fascine, d’autant que les splendides robes blanche (pour le I, puis le II) et rouge (pour le III), dessinées par Andreas Reinhardt, semblent avoir été taillées pour elle, et non pour Janice Baird, la titulaire des représentations de 2007. Le port altier, mais d’une féminité profonde, Sophie Koch rayonne, les dimensions raisonnables de la salle permettant de suivre, depuis le premier balcon, les moindres expressions de son visage.

Contrairement à la plupart des ténors osant se mesurer à Tristan, c’est curieusement au I que Nikolai Schukoff paraît un rien fatigué, avec un timbre manquant de brillance et des aigus forcés. Dès le duo du II, il trouve son rythme de croisière, en totale symbiose, vocale et interprétative, avec sa partenaire. Mais c’est au III qu’il laisse pantois, faisant preuve d’un engagement, d’une « défonce » (osons le mot), sidérants.

D’une vaillance que l’on croirait inépuisable, le ténor autrichien se déchaîne vocalement, mais aussi scéniquement, retenant le spectateur suspendu à ses lèvres, dans un monologue dont on sait, pourtant, à quel point il se peut se transformer en « tunnel » quand on ne l’habite pas. Depuis vingt ans que nous suivons sa carrière, jamais nous ne l’avions vu et entendu aussi exceptionnel.

Par comparaison, Michael Weinius, dernier Tristan en date de l’Opéra Bastille (voir O. M. n° 190 p. 61 de mars 2023), fait figure de troisième couteau. Quant à Mary Elizabeth Williams, sa désastreuse partenaire, la charité nous conduit à ne pas tenter un parallèle entre son Isolde et celle de Sophie Koch. Encore un exemple où un théâtre de région, nettement moins bien doté financièrement que la première scène nationale, fait incomparablement mieux qu’elle.

Du reste de l’équipe, on détachera, en priorité, l’extraordinaire Brangäne d’une Anaïk Morel en constants progrès. Sa voix de velours, à la projection ferme et à l’aigu glorieux, la destine décidément à un grand avenir. L’immense Matthias Goerne chante divinement en Marke, mais laisse relativement indifférent, son inexpressivité scénique contrastant avec l’engagement de ses partenaires.

Pierre-Yves Pruvot est un Kurwenal remarquablement efficace, à l’instar du Melot très présent de Damien Gastl. Valentin Thill, enfin, l’un des meilleurs espoirs de la génération montante des ténors français, est idéal de lumière et de poésie, en Jeune Marin comme en Berger.

Complétant notre bonheur, Frank Beermann, à la tête d’un Orchestre National du Capitole dans une forme éblouissante, prend le contre-pied des chefs tentés par la transparence dans Tristan und Isolde. Dès le premier acte, sa direction déborde de flamme et de passion, avec des sonorités riches et éclatantes. La musique donne l’impression d’avancer par vagues de plus en plus puissantes, jusqu’à des climax d’une irrésistible ivresse.

Vous l’avez compris, ce Tristan restera comme l’un des plus mémorables auxquels il nous ait été donné d’assister. Un immense bravo à Christophe Ghristi, directeur artistique de l’Opéra National Capitole Toulouse, à l’origine de ce miracle !

RICHARD MARTET


© Mirco Magliocca

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