Badisches Staatstheater, 17 février
Chaque deuxième quinzaine de février, le Festival Haendel (Internationale Händel-Festspiele) de Karlsruhe rend hommage à un musicien né, certes, un 23 février, mais pas à Karlsruhe, ville où il n’a, d’ailleurs, vraisemblablement jamais mis les pieds. Un rendez-vous institutionnalisé depuis quarante-cinq ans, avec un compositeur d’opéras et d’oratorios tellement prolifique que, même à raison d’un nouveau titre mis en scène par édition, un certain nombre n’ont toujours pas été abordés, comme le rare Siroe, annoncé pour 2024.
En revanche, d’autres, plus célèbres ou plus essentiels, peuvent éventuellement y bénéficier d’une seconde chance. C’est le cas d’Ottone (Londres, 1723), chef-d’œuvre qui mérite effectivement quelques égards particuliers, et qui avait déjà été présenté au Festival, il y a exactement vingt ans, dans une mise en scène de Ralf Nürnberger joyeusement loufoque – réactualisation divertissante, mais dont on pouvait se demander si elle servait vraiment l’ouvrage, ou si elle ne faisait que le détourner.
Avec cette nouvelle production, signée par le réalisateur vénézuélien Carlos Wagner et le décorateur-costumier français Christophe Ouvrard, on obtient une réponse claire : effectivement, Ottone gagne à ne pas être violenté. Déjà, en raison d’un livret complexe, où les trajectoires amoureuses et les intrigues politiques, dans l’Italie du Xe siècle – mais avec, pour principal protagoniste, un souverain allemand –, s’entrecroisent en un lacis tellement inextricable qu’à la fin, on ne sait plus très bien qui aime qui et pourquoi.
Dénouement joyeux de rigueur, mais très artificiel, le plus important restant, ici, l’expression de sentiments continuellement variés. Peu de concessions à la pure virtuosité vocale, effectif instrumental privilégiant les couleurs adoucies… Le chassé-croisé amoureux anticipe les émois mozartiens, même si les grands ensembles n’y sont pas encore à l’ordre du jour, la partition incluant toutefois deux duos, de surcroît très joliment tournés.
Approche scénique sensible, donc, sans distorsions d’époque, ni accessoires incongrus. Le beau décor tournant à étages s’inspire de l’antique, mais paraît surtout atteint d’une décrépitude très médiévale, faute de rénovations. Même les « méchants », Gismonda et Adelberto, y paraissent plâtreux et poussiéreux, au bord de l’effritement.
L’importance des voyages maritimes dans le livret (personnage du faux pirate Emireno, arrivées et fuites en bateau) nous vaut de superbes perspectives marines, dont une longue séquence vidéo de vagues noires et menaçantes… Un esthétisme constant, mais aussi une direction d’acteurs d’une grande finesse, qui évite habilement le statisme, voire s’autorise quelques pointes d’humour, toujours mesurées.
Même modération dans la direction du chef italien Carlo Ipata, à la tête d’un ensemble Deutsche Händel-Solisten en pleine forme. Une palette variée, dont un riche continuo de cordes pincées, de belles envolées, rien de contraint : ici, le baroque vit et respire, plutôt qu’il ne recherche les effets brutaux.
Une stabilité partagée par une très compétente équipe de chanteurs, où seule la Matilda de Sonia Prina s’emporte au-delà de ses possibilités, passionnée au point de savonner ses vocalises et de perdre de vue la justesse. En Adelberto et Ottone, l’Italien Raffaele Pe et l’Ukrainien Yuriy Mynenko représentent dignement la catégorie des contre-ténors, avec, pour le second, un mémorable « Dopo l’orrore », l’un des rares véritables airs de bravoure de la partition.
La soprano espagnole Lucia Martin-Carton offre une jolie Teofane, un peu frêle, mais sensible, face à la mezzo ukrainienne Lena Belkina, brillante et vindicative Gismonda. Enfin, on saluera l’Emireno chaleureux de la basse française Nathanaël Tavernier, membre de la troupe du Badisches Staatstheater depuis la saison 2020-2021.
Un sextuor de grande classe, le Festival Haendel de Karlsruhe demeurant, avec cet Ottone, conforme à sa réputation d’excellence.
LAURENT BARTHEL