Empereur romain, mythe fondateur de la Suisse ou doge de Gênes, Thomas Hampson a incarné maintes figures politiques, historiques autant que légendaires. Dans Nixon in China, qui marque enfin l’entrée de John Adams au répertoire de l’Opéra National de Paris, il endosse pour la première fois, aux côtés de Renée Fleming, et sous la direction de Gustavo Dudamel, le costume d’un président des États-Unis. Analyse d’un baryton éclairé.
« Une prise de rôle est toujours très excitante, surtout à l’occasion d’une entrée au répertoire d’une salle aussi prestigieuse que l’Opéra de Paris. L’invitation est venue directement de son directeur, Alexander Neef, qui avait déjà pensé à moi pour A Quiet Place de Bernstein la saison dernière – mais je n’étais malheureusement pas libre. Je suis un grand fan de John Adams depuis longtemps. Nous nous connaissons très bien, et j’ai déjà eu l’occasion de chanter The Wound-Dresser (1988), un des plus grands monologues du répertoire contemporain, d’après un célèbre texte de Walt Whitman. John est un génie de l’opéra, doté d’un humour et d’un sang-froid incroyables. J’ai trouvé très amusant de lire dans son autobiographie cette anecdote où il déclare qu’à l’époque de Nixon in China, il ne savait pas comment écrire pour les voix !
Son style est basé sur l’harmonie, en travaillant des structures d’accords avec des changements de registres. C’est parfois inconfortable, tout en restant toujours très rationnel. Le plus difficile, dans cette partition, est de mémoriser l’écriture rythmique. On ne voit cela nulle part ailleurs dans la littérature vocale, particulièrement au premier acte : tant comme chanteurs que comme acteurs, nous sommes dans une sorte d’impulsion rythmique qui peut parfois mélanger jusqu’à une dizaine de changement de tempo sur une seule page ! C’est délirant, mais cela reste très lyrique et expressif. J’ai pris beaucoup de temps pour étudier le rôle sous tous les angles, et en percevoir l’intelligence directrice et la structure générale.
J’appartiens à une génération qui a bien connu Richard Nixon. Je me souviens très bien de cette époque pour avoir vécu dans l’État de Washington, qui était très républicain et conservateur. Je commençais tout juste des études de sciences politiques à l’université, pour devenir avocat ou diplomate, et à un an près, j’aurais pu être appelé sous les drapeaux, et partir pour le Vietnam. Nixon était une sorte de héros pour la droite conservatrice, qui n’avait rien à voir avec celle dont on parle aujourd’hui, depuis Donald Trump… Beaucoup d’Américains ont été choqués par l’affaire du Watergate, mais avec le recul, ce rapprochement avec la Chine était une bonne chose, surtout après le désastre de la guerre du Vietnam.
J’apprécie le fait que la mise en scène de Valentina Carrasco ne vise pas la stricte reconstitution historique. C’est également le souhait de John Adams, davantage préoccupé par les moments de philosophie fugace qui transcendent les rapports politiques entre Mao et Nixon. Selon moi, cette œuvre pose la question de la construction de la paix et de la compréhension de l’autre. Dans les relations géopolitiques, l’absence d’hostilité est la première étape, et la seconde consiste à communiquer réellement les uns avec les autres. Le troisième acte est, à mon sens, le plus éloquent : on voit sur scène des êtres humains qui se demandent s’ils ont fait le nécessaire pour offrir aux peuples de leurs deux nations les meilleures conditions de vie. Nous vivons aujourd’hui dans un monde très réaliste, où beaucoup de politiciens contemporains ne se préoccupent plus vraiment de la notion du service public et d’un bien commun…
La façon dont l’opéra progresse vers cette humanité, à la manière d’une caméra qui ferait un plan serré sur une image finale dans un film, me touche beaucoup. Je vois dans Nixon et Mao une sorte de solitude du pouvoir qu’on retrouve dans la complexité d’un personnage tel que Simon Boccanegra. J’ai progressé dans mon approche comme un détective qui chercherait des indices pour comprendre tous les éléments de contexte. Je me réjouis également de retrouver à mes côtés Renée Fleming. Nous sommes de très vieux amis, et c’est la première fois que nous nous interprétons ensemble un opéra du répertoire moderne américain. J’espère que cette œuvre trouvera une bonne résonance ici, à Paris. »
Propos recueillis par DAVID VERDIER
À voir :
Nixon in China de John Adams, avec Thomas Hampson (Richard Nixon), Renée Fleming (Pat Nixon), John Matthew Myers (Mao Tse-tung), Kathleen Kim (Chiang Ch’ing), Xiaomeng Zhang (Chou En-lai), Joshua Bloom (Henry Kissinger), Yajie Zhang (First Secretary to Mao), Ning Liang (Second Secretary) et Emanuela Pascu (Third Secretary), sous la direction de Gustavo Dudamel, et dans une mise en scène de Valentina Carrasco, à l’Opéra National de Paris, du 25 mars au 16 avril 2023.