Opéras Voix humaine avec film à Strasbourg
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Voix humaine avec film à Strasbourg

03/03/2023
© Klara Beck

Opéra, 22 février

La brièveté de La Voix humaine fait que cette « tragédie lyrique » est souvent représentée en compagnie d’un autre ouvrage, qui puisse lui servir de complément. Au Théâtre des Champs-Élysées, en mars 2021 (voir O. M. n° 171 p. 44 d’avril), Olivier Py a su trouver une solution plus cohérente, en écrivant le livret d’un nouvel opéra. Point d’orgue, dont la musique a été composée par Thierry Escaich, raconte ce que pourrait être la suite de l’histoire vécue par « Elle », le personnage du monodrame de Jean Cocteau et Francis Poulenc.

Pour cette nouvelle production de l’Opéra National du Rhin, Katie Mitchell a imaginé autre chose : elle a conçu, aidée par la réalisation vidéo de Grant Gee, un film qui sert d’introduction, puis de conclusion, à La Voix humaine. L’introduction est très brève : on y voit Patricia Petibon marcher dans les rues, un soir, et rentrer chez elle. Le film s’arrête, l’opéra commence. Puis, une fois celui-ci achevé, le film reprend : l’héroïne se suicide, en se jetant par la fenêtre, puis se relève ou se réveille.

On ne sait pas trop, en effet, si tout n’est qu’un rêve ou si le chien qui apparaît est une figure d’Anubis, le chien égyptien psychopompe (c’est-à-dire conducteur des âmes), comme le laisse supposer le programme de salle. « Elle », après avoir traversé la ville, rentre benoîtement chez elle, comme au début, mais, cette fois, reste immobile devant le téléphone, qui persiste à sonner.

Le téléphone est, dans La Voix humaine, plus et autre chose qu’un accessoire : c’est le moteur de l’action, le fil qui relie l’héroïne à l’amant absent. Poulenc l’a figuré musicalement par un xylophone. Or, ici, « pour des raisons artistiques » (sic), l’instrument a été remplacé par une vraie sonnerie de téléphone ; par deux sonneries, en réalité, Katie Mitchell résolvant le problème de l’opératrice, intermédiaire obligatoire au temps jadis, par la présence de deux téléphones (un fixe et un portable), mais aussi d’un ordinateur.

Hormis le fait que le personnage se promène, aussi, d’un verre d’eau à une bouteille de vin, d’un bout à l’autre de sa chambre, la mise en scène est on ne peut plus classique, sans surprise, rigoureusement réglée, beaucoup moins imaginative que celle d’Olivier Py. On n’y voit pas en quoi, comme on nous prévient, « le thème de la femme abandonnée est un thème patriarcal, construit par des hommes pour dégrader les femmes ». Seul indice insolite, la gamelle du chien, qu’« Elle » pousse avec le pied, nous annonce le rôle que va jouer ce personnage muet dans la conclusion filmée.

On admire, une fois de plus, la manière dont Patricia Petibon, admirable comédienne, incarne le personnage, lui donne sa sensualité, sa fragilité, sa densité. Vocalement, on retrouve ce qu’entendait Cocteau : « Ni le récitatif, ni le chant, ni Schoenberg, ni Debussy. » Patricia Petibon ne cherche pas la ligne, elle accuse, au contraire, le morcellement des phrases qui confine à l’angoisse.

La direction acérée d’Ariane Matiakh, à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg, va dans le même sens et contribue à la tension de l’ensemble, quelques instruments disposés dans les loges, au-dessus de la fosse, ajoutant à la présence sonore de cette Voix humaine.

On précisera que le film conclusif est accompagné d’une pièce orchestrale d’Anna Thorvaldsdottir (née en 1977), créée à Reykjavik, en 2011, et intitulée Aeriality. Cette page séduisante, faite de longues tenues instrumentales, se situe, selon la compositrice islandaise, « à la frontière de la musique symphonique et de l’art sonore ». Même si elle a été écrite en soi, pour le concert, elle est, ici, réduite à l’état de musique de film.

CHRISTIAN WASSELIN


© Klara Beck

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