Opernhaus, 22 février
Alors que le Grand Théâtre de Genève poursuit sa « trilogie des reines Tudor », l’Opernhaus de Zurich, avec un épisode d’avance, conclut la sienne, à l’autre bout de la Suisse. Et cette dernière réalisation confirme la force et la cohérence du projet d’Enrique Mazzola et de David Alden.
Coup de chapeau, d’abord, au chef italien qui, dans Roberto Devereux, démontre, une fois encore, sa profonde connaissance, mais aussi son amour de ce répertoire : insufflant à l’orchestre Philharmonia Zürich une énergie incroyable, Enrique Mazzola fait croître cette sourde tension dramatique qui dynamitera, peu à peu, les citations du God Save the King/Queen. Tout au long de la soirée, il gardera un même niveau d’enthousiasme carnassier, avec notamment un sens aigu de la relance dans les cabalettes.
Lauriers, également, pour le metteur en scène américain David Alden, qui confirme son chic pour faire du classique sans rien de poussiéreux. On retrouve le décor désormais familier de Gideon Davey, cette immense pièce en forme d’ellipse, aux murs faits de grands blocs de marbre beige, combinés ici avec un second mur de même texture, en demi-cercle, resserré, celui-là, qui est, du côté convexe, une galerie de portraits d’Elisabetta (tous seront masqués, à l’acte III) et, du côté concave, le théâtre privilégié de confrontations plus intimes.
Comme dans Maria Stuarda, puis Anna Bolena, les costumes mélangent les périodes, de l’époque élisabéthaine aux années 1930. Et, comme c’est presque devenu un poncif dans toutes les mises en scène d’un des opéras du (faux) cycle, on nous rappelle qu’Élisabeth Ière est la fille d’Anne Boleyn : l’Ouverture la montre, enfant, assistant à la décapitation de sa mère, avant d’ôter le bandeau qu’on lui a mis sur les yeux, et de regarder des serviteurs tenter vainement d’effacer la tache de sang qui recouvre le sol.
Avec les superbes lumières rasantes d’Elfried Roller, David Alden réussit une production d’une grande beauté visuelle, avec ce qu’il faut de noblesse et de grand spectacle, mais sans jamais négliger un véritable investissement théâtral dans la direction d’acteurs.
Appelée, quelques jours plus tôt, pour remplacer Inga Kalna, souffrante, Elena Mosuc ne convainc pas vraiment en Elisabetta. Certes, on doit lui reconnaître d’indéniables qualités de technique et de virtuosité, et aussi un engagement sincère, mais c’est au prix d’une série d’imperfections et d’irrégularités qui, tour à tour, affaiblissent sa performance : passages détimbrés, soutien insuffisant, projection inégale. Ce n’est que dans la très difficile scène finale que la soprano roumaine semble, enfin, tout contrôler et, du coup, mieux répondre aux attentes du rôle.
Il faut dire qu’Elena Mosuc est entourée d’un trio de premier plan qui, forcément, lui fait de l’ombre. Annoncée comme légèrement souffrante, mais presque rétablie, Anna Goryachova laisse apercevoir un peu d’instabilité dans les aigus de la première intervention de Sara, mais toute la suite est impeccable : graves bien présents, phrasés élégants, puissance, la mezzo russe, qui a été formée dans la troupe zurichoise, en reste l’un des plus beaux fleurons. Excellent, aussi, le Nottingham de son compatriote, le baryton Konstantin Shushakov.
Mais le triomphateur de la soirée est, sans nul doute, Stephen Costello, formidable d’homogénéité dans le rôle-titre, capable d’alterner mordant et moelleux, chantant avec une fluidité confondante et une santé vocale réjouissante. Son duo avec Sara est un rêve de délicatesse, et son air « de la prison » se révèle prodigieux de couleurs et d’expressivité. À chaque instant, le ténor américain nous rappelle à quel point le Donizetti de Roberto Devereux (Naples, 1837) est bien plus proche de Verdi que de Rossini ou Bellini.
NICOLAS BLANMONT