Opéras Exceptionnelle Lucia à Nice
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Exceptionnelle Lucia à Nice

03/03/2023
© Dominique Jaussein

Opéra, 23 février

L’exceptionnelle réussite de cette Lucia di Lammermoor, coproduite par l’Opéra Nice Côte d’Azur, tient à la cohésion du projet, entre une mise en scène formidablement musicale (créée au Teatro Verdi de Pise, en 2019) et une direction remarquablement théâtrale.

Le réalisateur italien Stefano Vizioli ancre l’action dans un XIXe siècle bourgeois et corseté, monde d’hommes ne laissant à la femme que la place de se soumettre à la loi patriarcale. La tonalité funèbre de l’œuvre est donnée, dès le lever de rideau, par la présence de tombes éparses, la mise en scène jouant ensuite d’oppositions simples de couleurs (blanc de la nature/noir du pouvoir, mais aussi noir du deuil initial de l’héroïne, qui est ensuite forcée de revêtir la blanche robe de mariée), pour donner une lisibilité totale à l’intrigue, comme aux rapports entre les personnages.

Jamais le célèbre sextuor n’aura été aussi clair dans ses enjeux, comme dans son développement dramaturgique. De même sont mis en lumière, avec acuité, les liens névrotiques unissant le frère et la sœur, entre l’étranglement qu’il porte sur elle, à la fin de leur duo, et l’ascendant terrifiant qu’elle finit par prendre sur lui, juste après sa scène de folie, quand elle quitte le plateau, en l’entraînant dans son sillage, sur ces quelques mesures – trop souvent coupées – chantées par Enrico et Raimondo.

On admire aussi l’art de diriger les grandes masses chorales, qu’il s’agisse de l’effroi saisissant la foule, à l’arrivée de Lucia démente – scène phare de la soirée, avec un jeu de lumières particulièrement saisissant –, ou du cortège masculin funèbre final, en redingotes et hauts-de-forme, pleurant Lucia défunte, et finissant par s’agenouiller, chapeau bas, devant Edgardo expirant.

Cependant, le spectacle ne parviendrait pas à ce niveau de réussite organique, sans la direction inspirée et inspirante d’Andriy Yurkevitch, toujours attentive à l’équilibre fosse/plateau, comme au moindre rubato ou accelerando des chanteurs. Le chef ukrainien s’y entend pour construire les vastes concertati avec autorité, tout en sachant faire soudain chanter tel instrument ou suspendre l’action en des silences d’une insoutenable tension. Une direction éminemment belcantiste qui exalte, en même temps, les accents pré-verdiens du chef-d’œuvre de Donizetti.

Parmi les seconds rôles, la voix modeste de Maurizio Pace ne rend que plus frappante l’insignifiance d’Arturo, alors que Grégoire Mour, joli ténor léger, détaille Normanno avec finesse. La basse française Philippe Kahn laisse plus réservé, Raimondo à l’émission engorgée et à l’intonation souvent incertaine. Le baryton bulgare Vladimir Stoyanov, avec son émission mordante, malgré un aigu un peu en arrière, est un Enrico plein d’autorité.

Oreste Cosimo prête à Edgardo son timbre de soleil et son physique de jeune premier, avec un panache irrésistible. La technique très sûre du ténor italien lui permet, dans son duo avec Lucia, de tenir – comme il est écrit, mais rarement fait – la partie supérieure (jusqu’au contre-mi bémol, émis en falsetto !), et d’assumer la tessiture tendue de ses deux airs finaux, en alternant accents déchirants et magnifiques allégements.

Quant à Kathryn Lewek, elle se montre fabuleuse dans le rôle-titre : la technique est superlative, avec un trille d’école, des vocalises d’un délié exceptionnel et des suraigus sidérants, mais plus volontiers émis piano, voire pianississimo ou filés, plutôt que fortissimo. Un art de funambule – y compris scéniquement – d’une totale maîtrise, qui ne recherche jamais l’exploit, mais toujours l’expression théâtrale et psychologique la plus juste.

La scène de la folie constitue le sommet de l’incarnation de la soprano américaine, avec un « Il dolce suono… Ardon gl’incensi » halluciné, osant tout sur l’extrême fil de la voix, comme une danseuse constamment au bord de l’abîme (chuchotement, silence, cri, parlando – mais sans une once d’expressionnisme –, cadences vertigineuses, variations inventives). Suit un « Spargi d’amaro pianto » comme un éclat de joie, tout aussi inquiétant, dans la pleine chair de la voix, avec des coloratures comme du vif-argent, une cadence au contre-fa au milieu et un contre-mi bémol final longuement tenu.

Les amateurs de contre-notes auront remarqué avant cela, au milieu de « Quando, rapito in estasi », un périlleux saut d’octave rajouté sur un contre-ré tenu, avant la reprise du thème, puis une ahurissante fusée montant au contre-sol. Sans doute serait-il temps que Kathryn Lewek qui, à 40 ans, se trouve dans la pleine maturité de son art, soit connue pour autre chose que la Reine de la Nuit (Die Zauberflöte), chantée déjà plus de trois cents fois !

THIERRY GUYENNE


© Dominique Jaussein

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