Interview Evgeny Titov : metteur en scène de Montev...
Interview

Evgeny Titov : metteur en scène de Monteverdi à l’ONR

28/02/2023
© Klara Beck

Du 24 mars au 30 avril, d’abord à Strasbourg, puis à Mulhouse et à Colmar, l’Opéra National du Rhin affiche L’incoronazione di Poppea, avec Raphaël Pichon au pupitre. Réalisateur originaire du Kazakhstan, Evgeny Titov lève le voile sur sa nouvelle production.

Comment êtes-vous passé du théâtre parlé à l’opéra ? Était-ce un désir que vous aviez ?

J’ai toujours rêvé de monter un opéra, et on m’a toujours dit que ce serait formidable, parce que mon travail est tellement musical, etc. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser que cela n’arriverait jamais. Et, tout d’un coup, j’ai été invité à mettre en scène une pièce de théâtre, à Wiesbaden, et le directeur m’a demandé si j’étais intéressé par un opéra – en l’occurrence, Lady Macbeth de Mtsensk. Barrie Kosky lui a emboîté le pas, pour Œdipe d’Enesco, au Komische Oper de Berlin. Après cela, je n’ai plus arrêté de recevoir des propositions – de l’Opernhaus de Zurich, de l’Opéra National du Rhin… J’imaginais arriver à 45 ans sans avoir fait d’opéra, mais finalement, je me retrouve avec tous ces projets, à 42 ans. Je suis ravi !


Evgeny Titov lors d’une répétition de L’incoronazione di Poppea à l’Opéra National du Rhin. © Klara Beck

Quels sont les défis de l’opéra, par rapport au théâtre parlé ?

Faire une bonne mise en scène de théâtre est très difficile. L’opéra est plus universel, avec une dimension visuelle bien plus importante. J’ai toujours aimé voir les choses en grand. C’est dans mes images, mon sens de la narration, qu’a été détecté mon potentiel pour l’opéra. Je ne sais plus quel philosophe a écrit : « La musique est l’aspiration vers laquelle tendent tous les arts. » Parce qu’elle est la perfection, le but ultime ! C’est aussi ce que m’ont enseigné mes professeurs, à Saint-Pétersbourg. Il n’existe rien de plus puissant que l’opéra, cette réunion d’un orchestre, d’un chef, de chanteurs, et des arts visuels.

Quel est le thème principal de L’incoronazione di Poppea ? L’amour ? L’ambition ? Le lien qui les unit ?

Tous ces éléments, l’amour, l’ambition, le désir, font partie de l’œuvre, sans qu’on puisse l’y réduire – de même que, chez Shakespeare, Roméo et Juliette n’est pas une pièce sur l’amour, ou Macbeth, sur le mal. Un proverbe russe très intéressant dit : « Si tu veux faire rire les dieux, raconte-leur tes projets ! » Nous pensons que nous savons ce que nous faisons, que nous pouvons atteindre notre but. Mais le moment où nous y parvenons est le plus dangereux, car il précède la chute. Nous sommes les jouets du destin.


Evgeny Titov lors d’une répétition de L’incoronazione di Poppea à l’Opéra National du Rhin. © Klara Beck

Dans l’opéra, Poppea est couronnée, et tout est bien qui finit bien. Mais, en réalité, elle sera tuée peu après par Nerone, d’un coup dans le ventre, alors qu’elle est enceinte. C’est horrible ! Il est très important que le public voie que Poppea n’est pas juste cette fille ambitieuse qui élimine tout le monde, pour arriver à ses fins. Il faut raconter cette histoire, comme une mise en garde universelle : vous croyez être au sommet, mais la minute d’après, vous pouvez vous retrouver à terre, brisé.

L’incoronazione di Poppea est une œuvre d’atelier, où la main de Monteverdi se mêle à celles de ses disciples, et chaque chef réalise sa propre version, à partir des sources manuscrites parvenues jusqu’à nous. Raphaël Pichon vous a-t-il impliqué dans ce processus ?

Je n’ai pas d’expérience de l’opéra baroque, mais on m’a dit que les approches étaient parfois si différentes que, d’un chef à l’autre, une œuvre pouvait devenir méconnaissable. Nous avons beaucoup d’idées créatives sur l’intrigue. Ainsi, l’ordre de certaines scènes a été modifié – ce qui est possible, dans la mesure où il varie selon les sources, et où personne ne sait vraiment quelle version est authentique. J’ai toujours été en contact étroit avec Raphaël : avec Ulrich Lenz, mon dramaturge, nous lui avons fait des suggestions, qu’il approuvait ou non. Cela a été un long processus, avec beaucoup d’allers-retours entre nous. Je suis heureux que les répétitions nous permettent de réagir en fonction du résultat. Rien n’est fixé ! La musique baroque offre cette flexibilité.


Discussion entre Raphaël Pichon et Evgeny Titov lors d’une répétition de L’incoronazione di Poppea à l’Opéra National du Rhin. © Klara Beck

Comment atteindre, sans tomber dans l’artifice, le très haut degré de sensualité, de sexualité même, de la musique de Monteverdi, particulièrement dans les duos entre Poppea et Nerone ?

Ils sont presque pornographiques ! Et je n’ai pas la moindre idée de la façon dont je vais y arriver ! Il faudra attendre la première, pour savoir si nous sommes dans le sexe tantrique ou dans le kitsch, comme dans un mauvais film. C’est une question de chimie. Cela ne fonctionnera pas, si l’une me dit : « Je ne me sens pas bien, je n’aime pas ce chanteur, il est bizarre », et l’autre : « Elle est laide, elle est assise sur moi, et elle me fait mal ! » Il n’y a pas de recette pour créer de la sensualité : il ne suffit pas de monter la température de la salle à 23°, de baisser la lumière, et d’habiller Poppea en soie rouge, pour qu’elle ait l’air sexy. Mettre en scène, c’est amener les interprètes là où ils peuvent avoir confiance en eux, et donner le meilleur d’eux-mêmes.

Propos recueillis par MEHDI MAHDAVI

À voir :

L’incoronazione di Poppea de Claudio Monteverdi, avec l’ensemble Pygmalion, Giulia Semenzato (Poppea), Kangmin Justin Kim (Nerone), Katarina Bradić (Ottavia), Nahuel Di Pierro (Seneca), Carlo Vistoli (Ottone), Lauranne Oliva (Drusilla), Julie Roset (Amore), Emiliano Gonzalez Toro (Arnalta) et Rupert Charlesworth (Lucano), sous la direction de Raphaël Pichon, et dans une mise en scène d’Evgeny Titov, à l’Opéra National du Rhin, du 24 mars au 18 avril 2023.

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