Théâtre des Arts, 31 janvier
Créée sous le ciel aixois, à l’été 1991, cette production, qui fit date et contribua à placer Robert Carsen parmi les étoiles de la mise en scène, semble défier les ans. Elle le doit au soin apporté aux reprises successives par Emmanuelle Bastet, qui sait en recréer non seulement la forme, mais aussi l’esprit (voir, en dernier lieu, O. M. n° 109 p. 32 de septembre 2015). Et le plaisir d’un public qui la découvre, applaudissant même au troisième lever de rideau, montre que son charme est intact.
La distribution réunie à Rouen, très majoritairement anglophone, est de qualité. Chez les jeunes amoureux, on apprécie, tout particulièrement, le soprano sensuel de Nardus Williams en Helena. Le Demetrius de Samuel Dale Johnson, baryton sonore, contraste avec le Lysander d’Eric Ferring, ténor à la voix un peu légère, mais bien conduite. Seule Kitty Whately semble affronter, dans le rôle d’Hermia, une tessiture trop grave pour elle.
L’équipe des artisans est d’un grand relief, tant vocal que scénique, le formidable Bottom de Joshua Bloom s’en détachant comme il se doit. Mais ses comparses ne sont pas en reste, en particulier les Quince et Snug de Barnaby Rea et William Thomas, sans oublier Anthony Gregory en Flute, jusqu’au vétéran Robert Burt, efficace Snout.
Côté couples royaux, les brefs rôles des souverains d’Athènes, Theseus et Hippolyta, sont confiés à des voix d’une présence affirmée, tant le baryton-basse de bronze de Michael Mofidian que l’alto corsé de Lucile Richardot. Le couple régnant sur le monde des fées n’est peut-être pas aussi bien apparié. Dans leurs scènes à deux, le soprano très sûr de Soraya Mafi – Tytania d’ailleurs plus convaincante dans son côté peste que dans le charme – couvre celle d’Oberon, défavorisée par l’écriture même de Britten, qui la cantonne dans un médium moins sonnant.
Tous les successeurs de l’atypique Alfred Deller (1912-1979), créateur du rôle, doivent s’accommoder de cette tessiture très spéciale, courte et grave. Le superbe timbre de Paul-Antoine Bénos-Djian passe beaucoup mieux en solo, grâce aussi à l’orchestration spécifique de ces passages, mais le contre-ténor français est, plus d’une fois, contraint à poitriner en un baryton quasi parlando.
Sans doute lui faudra-t-il un peu de temps pour pleinement s’approprier ce rôle d’Oberon, où il montre par ailleurs une belle tenue en scène, un peu nonchalante, réalisant notamment, avec le Puck du charismatique acteur et acrobate Richard James-Neale, des passes magiques d’une réjouissante perfection.
Mais ce qui, finalement, nous aura le plus manqué dans cette représentation, c’est une vraie magie sonore. Peut-être une question de lieu et d’acoustique… La fosse donne souvent quelque chose d’un peu dur, et d’un peu fort par rapport au plateau, surtout pour le texte, qui ne passe pas très bien chez tous, notamment chez le chœur de garçons (Trinity Boys Choir), à la diction peu percutante.
Mais l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, lui-même, pourtant placé sous la baguette de Ben Glassberg, son directeur musical, se présente, à quelques moments, sous un jour peu suave, notamment au début du dernier acte, où les cordes aiguës produisent une sonorité bien acide.
Malgré ces quelques réserves, une soirée fort réussie, et un beau succès aux saluts.
THIERRY GUYENNE
© Marion Kerno/Agence Albatros