Interview Olivier Lepelletier, du Cancan à Tulipatan
Interview

Olivier Lepelletier, du Cancan à Tulipatan

25/02/2023
Olivier Lepelletier © Olga Khokhlova
© Olga Khokhlova

Le régisseur général du Moulin Rouge et metteur en scène d’opéra présente L’Île de Tulipatan d’Offenbach à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, du 5 au 11 mars. Retour sur la nature, les fonctions et les choix, protéiformes, de cet équilibriste des genres.

Comment est née votre passion pour l’opéra?

J’ai commencé le piano à 11 ans à Marseille, où je suis né et où j’ai grandi. Je ne viens pas d’une famille de mélomanes ou de musiciens, mais le piano m’a beaucoup sensibilisé à la musique classique. J’allais aussi souvent au théâtre et j’étais captivé par la scène. D’ailleurs, j’étais presque plus intéressé par la mise en scène, les décors, les costumes, les lumières, les entrées et sorties des comédiens. Quand j’étais étudiant, j’ai fait de la figuration à l’Opéra de Marseille. C’était de l’argent de poche mais au-delà de ça, c’était une véritable école pour moi. C’était à l’époque de la fin de la direction de l’Opéra de Marseille par Jacques Karpo, et j’ai côtoyé sur scène les plus grands chanteurs du moment : Leo Nucci, Raina Kabaivanska, Luciano Pavarotti, Leonie Rysanek, Gwyneth Jones, Grace Bumbry, Leona Mitchell, Kathleen Cassello… J’assistais à un maximum de répétitions pour tout observer et c’est notamment Macbeth de Verdi, avec Alain Fondary, qui m’a valu mon premier coup de foudre opératique. C’était aussi ma première fois en tant que figurant.

Un été, je me suis rendu au festival d’Aix-en-Provence, pour postuler en tant qu’ouvreur, mais j’ai appris qu’il y avait des auditions pour être figurant dans Castor et Pollux de Rameau, mis en scène par Pier Luigi Pizzi. J’ai donc passé le casting et j’ai été pris. L’année suivante j’étais régisseur stagiaire pour Orlando de Haendel, mis en scène par Robert Carsen, et l’année d’après j’étais régisseur général pour La Flûte enchantée de Mozart, toujours avec Carsen. J’ai ensuite eu la chance de rencontrer le metteur en scène belge Albert-André Lheureux, et cela a joué un rôle déterminant dans ma carrière. J’ai travaillé à ses côtés à Marseille et à Bordeaux pour Mireille de Gounod, puis à l’Opéra national de Tallinn pour Carmen de Bizet où je suis resté six mois, en tant qu’assistant à la mise en scène et coach de français pour toute la distribution – en Estonie, les opéras étaient généralement donnés en russe. Ces premières expériences professionnelles m’ont conforté dans mon idée d’évoluer dans ce milieu, même si mes parents étaient sceptiques : j’ai dû faire des études de commerce et de finances pour les satisfaire… et les rassurer [rires]. Une fois diplômé, je suis parti vivre à Paris et j’allais voir toutes les productions que présentait Hugues Gall à l’Opéra de Paris. Ce répertoire riche, varié et de qualité a complété mon éducation opératique… qui n’est pas terminée : je découvre de nouvelles œuvres encore aujourd’hui !


Olivier Lepelletier (au premier plan à gauche) et la soprano Claron Mc Fadden dans Castor et Pollux, mise en scène de Pier Luigi Pizzi, Festival d’Aix en Provence 1991. © André-Paul Jacques

Comment vous êtes-vous retrouvé au poste de régisseur général du Moulin Rouge ?

J’avais donc acquis une expérience dans le milieu lyrique et j’avais aussi travaillé un peu pour la télévision. L’univers du cabaret m’intriguait et me fascinait. J’ai envoyé une candidature spontanée au Moulin Rouge pour savoir s’ils ne cherchaient pas un régisseur général. Le lendemain j’avais une réponse positive et je commençais la semaine suivante.

Quelles similitudes observez-vous entre le cabaret et l’opéra ?

Je dirais le travail et la rigueur. Quand on fait du spectacle vivant, le rideau se lève et show must go on ! Il faut gérer les équipes artistiques et techniques, les pannes, les imprévus… Opéra, cabaret, théâtre, comédie musicale : c’est du spectacle vivant ! Lorsqu’il est fait avec amour, sincérité et rigueur, alors il n’y a pas d’art majeur ou d’art mineur. Le Moulin Rouge, c’est le maintien au quotidien d’une excellence à la renommée internationale : 1000 costumes, 800 paires de chaussures, trois kilomètres de boas en plumes d’autruche qui sont renouvelés chaque année, des changements de costumes en moins de trente secondes, un rythme fou dans un lieu ouvert tous les jours avec une troupe de quatre-vingts artistes qui enchaînent deux shows d’1 h 45 par soir et le fameux French Cancan qui impose une discipline de fer. On a pu lire que c’est un genre qui se meurt – avec la regrettable fermeture du Lido récemment – et qui n’a pas su se renouveler, je pense que c’est faux. Depuis son ouverture en 1889, ce lieu mythique qu’est le Moulin Rouge a su conserver son esprit et son ADN tout en étant ancré dans son époque, ce qui fait sa force. Les spectateurs viennent pour vivre cette expérience magique. D’ailleurs, c’est complet tous les soirs !


Olivier Lepelletier et la danseuse Katie Valentine. © Olga Khokhlova – Moulin Rouge

En France, ce mélange des genres est parfois vu d’un mauvais œil…

Oui, j’ai impression qu’en France, on aime hiérarchiser les genres artistiques et mettre les gens dans des cases. En Allemagne ou aux États-Unis, on passe beaucoup plus facilement d’un genre à l’autre. Au Komische Oper de Berlin, Barrie Kosky monte Le Nez de Chostakovitch et une Belle Hélène d’Offenbach, puis ressort des opérettes oubliées des années 1920 d’Oscar Straus. Renée Fleming, qui a interprété les plus grands rôles, a aussi chanté dans une comédie musicale à Broadway [Carousel, ndlr]. Un directeur d’une maison d’opéra m’a dit un jour: « Mais vous, vous êtes un metteur en scène d’opérette ? » Que répondre à ça ? Je suis un metteur en scène tout court ! Notre métier est le même, seul le support change. Et je suis surtout metteur en scène de ce que l’on me propose [rires], car ce sont souvent les directeurs de maisons d’opéra qui font nos carrières. Maurice Xiberras, directeur de l’Opéra de Marseille et du Théâtre de l’Odéon, m’a donné cette chance avec plusieurs mises en scène. Mais bien sûr que je désire aussi travailler sur des ouvrages plus dramatiques, comme Thaïs ou La traviata, Les Contes d’Hoffmann, ou des opere buffe comme Don Pasquale, Le Comte Ory… et tant d’autres. J’aime beaucoup les œuvres baroques, dont les opéras de Haendel, Sémélé et Rinaldo, par exemple, et des œuvres de Mozart, Donizetti, Grétry, Boito…

Où trouvez-vous votre inspiration dans cette complémentarité des genres artistiques ?

Partout ! Dans les livres, dans les expositions, dans la rue… et dans les films des années 1930 et 1940, avec Ginger Rogers et Fred Astaire, par exemple. Les personnages de femmes très fortes m’inspirent beaucoup et notamment les actrices de l’âge d’or hollywoodien, comme Rita Hayworth ou Marilyn Monroe. Quand j’ai monté La Veuve joyeuse, j’ai eu la chance d’avoir Charlotte Despaux dans le rôle de Missia Palmieri. J’ai tout de suite pensé à une actrice hollywoodienne sulfureuse et j’ai orienté ma mise en scène sur cette esthétique-là. Quand on regarde les films de Fellini, on assiste presque à des opéras
avec la musique de Nino Rota. Cirque, music-hall, burlesque, on trouve tout chez lui. J’ai d’ailleurs été assez inspiré par les ambiances de son film Casanova lorsque j’ai travaillé sur La Périchole à Marseille.


Charlotte Despaux dans le rôle de Missia Palmieri dans La Veuve joyeuse à l'Odéon de Marseille, 2019. © Christian Dresse

Charlotte Despaux dans le rôle de Missia Palmieri dans La Veuve joyeuse à l’Odéon de Marseille, 2019. © Christian Dresse

Comment concevez-vous le métier de metteur en scène ?

Pour moi, quelqu’un qui va à l’opéra doit oublier son quotidien le temps du spectacle. Il faut réintégrer le rêve sur scène. Sans vouloir passer pour un metteur en scène passéiste, je trouve qu’on a mis un peu de côté la magie de l’« opéra-machine » et le déploiement de décors, de costumes, même s’il est vrai que
les budgets ne sont plus les mêmes… Je pense que le public commence un peu à se lasser du misérabilisme esthétique qu’on lui impose régulièrement. Lorsque je travaille sur une mise en scène, il me paraît important de communiquer avec les artistes en amont afin de les nourrir d’informations, d’indications et d’établir une relation avec eux pour ne pas se découvrir le premier jour de répétition. J’aime l’aventure humaine de ce métier. Je travaille avec mes émotions et j’essaie de les transmettre au public, car le spectacle vivant c’est avant tout un échange permanent entre la scène et les spectateurs.

Vous allez mettre en scène L’Île de Tulipatan d’Offenbach à l’Opéra royal de Wallonie. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette œuvre assez rarement représentée ?

C’est une œuvre drôle, loufoque et surprenante, car le sujet traité est assez moderne pour 1868. Offenbach nous surprend toujours ! De nombreux thèmes y sont abordés, comme la famille, le pouvoir, l’amour, les idées reçues héritées d’une certaine morale bourgeoise patriarcale, dont Offenbach se délecte fréquemment. C’est un opéra bouffe à la fois sincère, touchant, et aussi complètement absurde par moments, certaines scènes sont dignes d’une pièce de Ionesco. L’œuvre, par le biais du travestissement que l’on retrouve souvent chez Offenbach, interroge aussi, d’une certaine manière, l’identité de genre… mais je ne veux pas en dire plus.


Maquette de costume par David Belugou pour L’Ile de Tulipatan © ORW-Liège/J. Berger

Quelle va être votre approche ?

Dans cette œuvre présentée pour le jeune public, l’Opéra Royal de Wallonie souhaitait que je puisse faire passer des messages de tolérance notamment, pour briser les stéréotypes, et je compte aussi venger un peu les femmes, souvent malmenées dans les opéras bouffes. Il n’est pas question pour moi de faire du militantisme, car là n’est pas le sujet, n’oublions pas que c’est avant tout un divertissement. Je pose ici ou là des situations qui peuvent susciter la réflexion chez chacun, en filigrane, sans rien imposer au public, si ce n’est ce que souhaitait le compositeur et surtout en respectant la musique. Stefano Pace a su réunir une équipe formidable à mes côtés, David Belugou aux costumes, Emmanuel Charles à la scénographie, et Sylvain Geerts aux lumières. Notre postulat de départ était l’émerveillement, l’enchantement, l’humour. Les univers de chacun, à la fois différents et complémentaires, se sont parfaitement combinés. Giulio Cilona, lauréat du 2e Concours international de chef d’orchestre d’opéra organisé par l’Opéra Royal de Wallonie, dirigera l’orchestre de la maison pour les quatorze représentations. Il s’agit d’une production « maison », où les multiples talents des ateliers de l’opéra réaliseront décors et costumes. On vous attend nombreux !

Propos recueillis par MAXIME PIERRE

Un article paru dans LYRIK n°3.

À voir :

L’Île de Tulipatan de Jacques Offenbach, avec Virginie Léonard (Alexis), Xavier Flabat (Hermosa), Alexander Marev (Cacatois XXII), Jérôme Billy (Romboïdal) et Marie-Catherine Baclin (Théodorine), sous la direction de Giulio Cilona, et dans une mise en scène d’Olivier Lepelletier, à l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, du 5 au 11 mars 2023.

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