Staatsoper, 25 janvier
« Quoique de taille moyenne, elle était fine, le cou comme sculpté dans le marbre, les épaules rondes, la poitrine ferme, le nez droit et fin, le regard noir et vif, le front haut et blanc, les cheveux si noirs qu’ils semblaient tourner au bleu. » Ainsi Nikolaï Leskov décrit l’héroïne de sa nouvelle, dont Chostakovitch a tiré, avec Alexander Preis, le livret de Lady Macbeth de Mtsensk : portrait craché, ou presque, d’Ausrine Stundyte, qui a incarné Katerina Ismaïlova successivement pour Calixto Bieito, Dmitri Tcherniakov et Krzysztof Warlikowski. Et aux antipodes de la blondeur torride et torrentielle d’Eva-Maria Westbroek, qui semblait se confondre avec son personnage, dans la production coup de poing de Martin Kusej – mais pas seulement.
Physiquement, Camilla Nylund se rapproche plutôt de cette dernière, alors que, dans le caractère et le maintien, tout les sépare. Pour ses débuts dans le rôle, qu’elle aborde la pleine maturité venue, après Jenufa, et entre sa première Brünnhilde de Die Walküre et celle de Siegfried, la soprano finlandaise parvient, par d’autres voies, à une forme d’évidence – qui est d’abord vocale, même si elle réussit, ici mieux qu’ailleurs, à se départir de son allure très « grande dame ».
Même les cheveux défaits, au dernier acte, sa Katerina semblera certes sortir de chez le coiffeur, mais l’exceptionnelle variété du chant, la pureté de sa conduite, comme la clarté intacte de l’émission sur tout l’ambitus – malgré un vibrato toujours un peu lâche, par rapport à l’épaisseur de l’instrument –, donnent absolument chair aux intentions du compositeur, qui cherchait « à rendre son personnage positif et digne de la compassion du spectateur ».
Le contraste n’en est que plus fort avec les hommes qui l’entourent, et la poussent à ourdir et commettre son horrifique série de crimes. Vincent Wolfsteiner est un parfait Zinoviy, tout de claironnante balourdise – pour l’anecdote, signalons que le ténor allemand, deux jours plus tôt, le 23 janvier, avait débarqué en catastrophe à l’Opéra Bastille, pour remplacer, avec une vaillance inespérée, le Tristan de Michael Weinius, à l’issue du premier acte de Tristan und Isolde.
Dmitry Golovnin est, comme il se doit, son exact opposé, en Sergueï rayonnant, quoique déjà un peu vieux beau, mais dont le charme opère toujours, pour assouvir l’insatiabilité de son appétit sexuel. Sans doute le maquillage et la perruque dissimulent-il assez mal qu’Alexander Roslavets n’a pas encore 40 ans, basse au grain fabuleusement noir et dense, qui ne fait qu’une bouchée de l’exécrable Boris.
Excepté le Balourd miteux d’Andreas Conrad, définitivement fâché avec le rythme, le reste de la distribution dessine des silhouettes d’une parfaite justesse, au service de la mise en scène sans fard de la cinéaste russe Angelina Nikonova, qui inscrit, grâce à la vidéo utilisée en toile de fond, cette tragédie domestique dans le cycle des saisons, d’un hiver à l’autre.
Malgré le système de surveillance dernier cri et les écrans de contrôle, grâce auxquels Boris épie tout son monde, l’époque de l’action n’a guère d’importance. Comme le reflet du caractère immuable d’une Russie condamnant, aujourd’hui autant qu’au XIXe siècle, l’homosexualité de Zinoviy, suggérée par les gestes échangés avec le jeune courrier, venu annoncer la rupture du barrage, simple prétexte, dès lors, pour fuir le domicile conjugal avec son amant. Et laisser la voie libre, en somme, à son épouse, dont le lit est dressé à la verticale, comme vu de dessus, au centre du plateau.
S’il ne faut en attendre ni l’extrême violence de Kusej, ni le regard clinique de Tcherniakov, ni la glaçante poésie de Warlikowski – hormis, peut-être, dans la séquence, ajoutée avant le dernier acte, de la prière du Pope dans un cimetière, sur fond de ciel menaçant, puis à l’instant, non moins cinématographique, où Katerina entraîne avec elle sa rivale dans le fleuve –, cette approche linéaire, sinon littérale, et néanmoins suffisamment tendue, s’avère aussi efficace que vraie dans sa simplicité et son refus de l’hyperréalisme.
Elle s’accorde, en outre, idéalement à la direction de Kent Nagano, limpide et tranchante, jusque dans le fracas censément pornographique dénoncé, sans doute par Staline lui-même, dans l’article anonyme paru, le 28 janvier 1936, dans la Pravda, sous le titre « Du chaos en place de musique ». D’autant plus que l’orchestre (Philharmonisches Staatsorchester Hamburg) se montre bien plus affûté dans la partition de Chostakovitch que, la saison dernière, dans des Elektra et Tannhäuser assez ternes.
MEHDI MAHDAVI