Une fois encore, Christophe Rousset accomplit un coup de maître dans son cycle des opéras de Lully au disque.
Fort de son expérience des opéras de Lully (Alceste, Amadis, Armide, Bellérophon, Isis, Persée, Phaéton et Roland sont déjà parus au disque), Christophe Rousset poursuit son exploration du répertoire lyrique « Grand Siècle », avec cette superbe Psyché, enregistrée en studio, à l’Opéra Royal de Versailles, en janvier 2022.
Sixième « tragédie lyrique » du musicien, créée en 1678, à l’Académie Royale de Musique, sur un livret de Thomas Corneille et Fontenelle, l’œuvre relate les élans de Psyché et de l’Amour, contrariés par la jalouse et malfaisante Vénus. Si la partition se conforme au modèle en vigueur à l’époque (un Prologue et cinq actes) et reprend une bonne partie de la musique de la « tragédie-ballet » éponyme, composée en 1671, elle se distingue par quelques singularités : peu de chœurs, un acte III dénué de divertissements et un ballet conclusif particulièrement ample.
Rien de tout cela n’affecte l’impact global de Psyché, bien au contraire : l’instrumentation s’y révèle d’une grande richesse, l’alternance des tonalités s’y déploie avec une rare subtilité, et le chant s’y montre merveilleusement expressif.
Christophe Rousset s’en empare avec un naturel confondant. Tout, sous sa battue raffinée, respire avec style et s’étire avec éloquence. Il faut dire que le chef et claveciniste français a, une fois encore, convoqué une distribution de très haut vol. À commencer par Ambroisine Bré, dont le chant ne cesse de s’affirmer.
Outre son incarnation accomplie de Psyché (divins « Par quel art dans ces lieux » et « Vous m’abandonnez donc, cruel et cher amant ? »), la mezzo-soprano française, cette fois dans la Femme affligée, livre une « Plainte italienne » saisissante, au début du I (« Deh, piangete al pianto mio »).
En contrepoint, la Vénus véhémente de Bénédicte Tauran ne démérite pas. Par des inflexions péremptoires, elle réussit à insuffler à la divinité retorse une puissance de ton infaillible. Deborah Cachet, quant à elle, est d’une délicatesse constante en Aglaure. Son chant délectable exalte chaque ligne, chaque mot.
Les voix masculines ne sont pas en reste. Les différentes tessitures, haute-contre (Cyril Auvity), tailles (Robert Getchell, Fabien Hyon, Zachary Wilder) et basses-tailles (Philippe Estèphe, Anas Séguin, Matthieu Heim), sont ainsi parfaitement défendues. Chacune, dans son registre, imprime, par ses inflexions zélées, beaucoup de caractère aux différents personnages abordés.
Le lumineux duo « Eh bien, Psyché, des cruautés du sort », entre Cyril Auvity et Ambroisine Bré, la mobilité du dialogue « Quoi, vous vous employez pour la fière Psyché », entre Robert Getchell et Bénédicte Tauran, sont des exemples de cette extrême ductilité, dont font preuve tous les chanteurs.
Maître d’œuvre avisé, Christophe Rousset galvanise ses forces instrumentales et vocales (Les Talens Lyriques), avec un plaisir manifeste. Sous sa direction experte, cette nouvelle intégrale surclasse la seule existant jusque-là, pourtant excellente, enregistrée par Paul O’Dette et Stephen Stubbs, en studio, chez CPO, en 2007 (voir O. M. n° 36 p. 68 de janvier 2009).
2 CD Château de Versailles Spectacles CVS 086
CYRIL MAZIN