Théâtre du Capitole, 20 janvier
Cette production – créée à Lausanne, en 2007, et déjà reprise à Toulouse, en avril 2016 (voir O. M. n° 118 p. 66 de juin) – bouleverse les habitudes imposées aux artistes et aux spectateurs. Elle défie le temps par sa fidélité au chef-d’œuvre absolu. Une salle comble, une houle d’enthousiasme dessinent clairement l’avenir : ou bien massacrer, ou bien servir.
Metteur en scène du spectacle, Marco Arturo Marelli en est également le scénographe ; il restitue par l’espace mobile le château d’Aguas-Frescas, alors que les costumes de Dagmar Niefind conduisent l’action dans le monde de Watteau et de Fragonard, et que les lumières de Friedrich Eggert évoquent des émois sentimentaux proches de Greuze.
Comment ne pas saluer l’exploit d’Hervé Niquet ? Pour diriger l’Orchestre National du Capitole, illustre dans le répertoire du XIXe siècle, le fondateur et directeur musical du Concert Spirituel dispose la fosse d’après ses recherches historiques, créant un autre lien avec le plateau et la salle : les cordes face au parterre (contrebasses divisées, situées à cour et jardin), l’harmonie derrière le chef.
On retrouve les qualités du grand ensemble : rondeur des cuivres, poésie des clarinettes, flûtes, bassons, avec une vivacité des attaques et une couleur inattendue. Le chœur maison, préparé par Gabriel Bourgoin, fait preuve de précision et de plénitude.
Karine Deshayes, Cherubino d’exception, aborde la Comtesse Almaviva. Son incarnation fera date par sa délicatesse et son sens de l’essentielle fidélité. Elle porte, avec la même grâce, les atours de son rang et la robe de mariée empruntée à Susanna, ne craint pas l’aigu, fait preuve d’un legato exemplaire dans ses deux monologues, et bouleverse dans le pardon qu’elle accorde à son volage et soupçonneux époux.
La Susanna d’Anaïs Constans, à la voix de grand soprano lyrique, sait se plier à la comédie la plus fine et enchante dans « Deh, vieni, non tardar ». Eléonore Pancrazi, Cherubino à l’inénarrable perruque bouclée, est confondante de drôlerie, de virevoltante diversité, et ravit par la couleur dont elle pare (et orne) ses airs.
Le Figaro de Julien Véronèse apporte une note de gravité plébéienne : d’abord vindicatif (« Se vuol ballare »), puis sarcastique (« Non più andrai »), et enfin poignant (« Aprite un po’ quegli occhi »). L’excellent Michael Nagy fait ses débuts au Théâtre du Capitole, dans le Comte Almaviva. Sa voix wagnérienne, intense dans la fureur et dans la séduction, la jeunesse de son allure et l’emportement de sa démarche, en font-ils un grand seigneur face à ce valet ? On le voit rarement immobile.
Le couple comique formé par Marcellina et Bartolo peut aussi attendrir. Ingrid Perruche, « madama piccante » aux dires de Susanna, Frédéric Caton, redoutable ergoteur à la voix de bronze, conquièrent tous les suffrages dans la scène de reconnaissance.
Matteo Peirone, en Antonio, amuse dans son penchant pour la boisson et son obstination de jardinier outragé. Emiliano Gonzalez Toro distille, avec une drôlerie sobre, le fiel de Basilio, Pierre-Emmanuel Roubet incarnant un Don Curzio point trop bredouillant.
Non seulement Caroline Jestaedt chante, avec une nostalgie poignante, l’ariette « L’ho perduta, me meschina ! », mais elle donne à sa Barbarina, un relief et une crédibilité qui intéressent à ce qui suit ce moment magique.
Il suffit d’une production intelligente et d’une distribution appropriée. Ce bonheur se rencontre.
PATRICE HENRIOT