Grand Théâtre Massenet, 29 décembre
S’il est un titre qui symbolise les fêtes de fin d’année, c’est bien La Veuve joyeuse (Die lustige Witwe, Vienne, 1905). Pour respecter la tradition, Éric Blanc de la Naulte, directeur général et artistique de l’Opéra de Saint-Étienne, a mis les petits plats dans les grands : ne se contentant pas de commander une luxueuse nouvelle production, il s’est assuré que la qualité musicale serait au rendez-vous, privilégiant les voix jeunes et séduisantes, avec des chanteurs incarnant leurs personnages à la perfection.
Le choix de la version française (Paris, 1909), signée Flers et Caillavet, rappelle que la comédie originelle, L’Attaché d’ambassade, est d’Henri Meilhac. Le thème de l’œuvre, la vie « à la parisienne », c’est-à-dire libre, revient en force, comme le montre l’acte situé chez Maxim’s, avec ses viveurs et ses divettes.
Pleine d’humour et menée à un train d’enfer, la mise en scène porte la griffe de Jean-Louis Pichon, ancien directeur de l’Opéra de Saint-Étienne. Initialement prévue en décembre 2020, mais reportée pour cause de pandémie, elle est réalisée par Jean-Christophe Mast. Des noirs et des blancs, des bleus et des roses harmonisent décors et costumes. Vêtus en grooms, dix danseurs et danseuses ponctuent l’action, dans des chorégraphies de Laurence Fanon, aussi gracieuses que déchaînées, culminant dans le cancan final, feu d’artifice auquel contribue toute la troupe, en un envol de jupons multicolores.
Au début, un immense cœur percé de flèches descend des cintres, tandis que Missia et Danilo surgissent successivement du sol. L’apparition d’Olivia Doray est spectaculaire : à son frac, son haut-de-forme et son fume-cigarette, dignes de la Marlene Dietrich de L’Ange bleu, elle ajoute une longue traîne semée de fleurs, signes de la profusion de milliards qu’elle possède.
Jérôme Bourdin et Sirpa Leinonen se sont surpassés, en imaginant les potentats de la cour de Marsovie ceints d’écharpes roses, et les danseuses du bal dans de superbes robes. Tous les messieurs arborent de fières moustaches, les dames sont empanachées, tandis que les éclairages de Michel Theuil baignent le plateau dans des lueurs dignes d’un Technicolor hollywoodien.
Alors que le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire, dirigé par Laurent Touche et Florent Mayet, passe avec une égale aisance du cotillon de l’ambassade aux grisettes parées de fleurs, le même Laurent Touche donne à l’Orchestre Symphonique toute l’élégance primesautière voulue par Lehar.
Missia à la perruque rousse bouclée, Olivia Doray est l’incarnation du chic : de sa voix suave, elle détaille l’élégiaque « Chanson de Vilya ». Le fringant Jean-Christophe Lanièce prête à Danilo son allure juvénile. Chloé Chaume est une Nadia pétulante, formant, avec le Coutançon de Camille Tresmontant, un duo d’amoureux innocents, quoique adultères, qui fait miroir avec le couple principal.
Tout en rondeur, le Popoff d’Olivier Grand est d’une rare drôlerie, en mari trompé qui refuse aveuglément sa disgrâce. Sous sa perruque blanche, Jacques Lemaire incarne Figg, le factotum pittoresque et cynique qui, pince-sans-rire, commente les péripéties. Doté d’un accent exotique, Marc Larcher est Lérida, prétendant prétentieux, aux côtés de Frédéric Cornille en D’Estillac, autre gandin intéressé par les dollars de Missia.
Au bilan, un spectacle fastueux et en tous points réussi, qui provoque des rappels tels que le cancan n’en finit pas de finir !
BRUNO VILLIEN